Table ronde L'affaire Finaly, témoignages : histoire, justice, mémoire

Témoignages de Robert Finaly, Guy Brun (inédit), Anne Rabinovitch et Jean Pierre Keller

Le jeudi 5 février 2009 à 18h30 au Palais du Parlement (ancien Palais de Justice) place Saint André, Grenoble

1953 - 2009 : 56 ans après le dénouement de l'affaire Finaly, quelle mémoire conservent de l'affaire ceux qui étaient les enfants Finaly ?
Comment les héritiers de leurs défenseurs la perçoivent-ils aujourd'hui et que veulent-ils que l'histoire retienne de l'engagement de leurs parents ?
Tel sera l'objet de cette table ronde organisée sur les lieux-mêmes du jugement de l'affaire, dans la salle des assises du Palais de justice de Grenoble.

avec les contributions de

Table ronde introduite par Gil Emprin, historien, et animée par Philippe Gonnet, journaliste

A cette occasion Philippe Gonnet interroge Robert Finaly : Robert Finaly retrouve son frère Guy Retrouvailles


Cette table ronde est co-organisée par :

  • le Cercle Bernard Lazare - Grenoble
  • le Centre Culturel Juif de Grenoble
  • avec l'aide logistique et financière du Musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère - Maison des Droits de l'Homme (Conseil Général de l'Isère)


Les intervenants

  • Robert, l'ainé des deux frères Finaly, maintenant retraité, a fait une carrière médicale comme chirurgien en pédiatrie à l'hopital de Bersheva en Israël.
  • Guy Brun, a été confié à Mlle Brun par sa mère, juive, qui, ayant fui le nazisme aux Etats Unis, a souhaité le reprendre à la fin de la guerre. Ses démarches auprès de Mlle Brun n'ont pas abouti. Mlle Brun a adopté Guy en 1951 et l'a gardé sous sa coupe jusqu'en 1960. A cette date, Guy Brun, agé de 20 ans, prit ses distances.
  • Jean-Pierre Keller fils de Moïse Keller qui fut l'acteur central de l'affaire Finaly, le mandataire de la famille et l'auteur de L'affaire Finaly telle que je l'ai vécue (Fischbacher, Paris, 1960).
  • Anne Rabinovitch romancière et traductrice, fille de Rabi - Wladimir Rabinovitch - juge à Briançon qui, par ses articles et ses prises de position, parvint à mobiliser l'opinion, en même temps qu'il fut, avant même le dénouement de l'affaire, son historien. Auteur de L'affaire Finaly, des faits, des textes, des dates(Marseille, 1953 - Transhumances 2009).

Maître Maurice Garçon

C'est en assistant à la dégradation du capitaine Dreyfus que Bernard Lazare sent le doute germer en lui. Ce doute se transforme en conviction, et Bernard Lazare engage le combat. Quand M. Keller est sollicité de s'intéresser au sort des enfants Finaly, il n'a nullement le sentiment qu'il va se lancer dans une aventure. Le cas lui paraît des plus simples : deux enfants juifs, agés de deux et trois ans, dont les parents ont été déportés par les Allemands, sont confiés, vers la fin de la guerre, à la directrice d'une crèche municipale. Les parents périssent au camp de concentration. Leur tante désire recueillir les enfants de son frère si tragiquement disparu ; un fait divers presque banal. Qui pourrait s'opposer à cette légitime revendication ?
Note des Editions Fischbacher qui ont publié l'ouvrage de M. Keller : L'affaire Finaly telle que je l'ai vécue, Paris 1960.

Février 1944, Grenoble. Mlle Brun, directrice de crèche, se voit confier deux enfants juifs, Robert et Gérald Finaly, à la suite de l'arrestation et du départ en déportation de leurs parents. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, les tantes des deux enfants parviennent à retrouver leur trace, et découvrant leur statut d'orphelins, manifestent leur désir de reprendre auprès d'elles leurs neveux. Mlle Brun, qui a caché et fait baptiser les enfants est inflexible : elle ne veut pas les rendre et dénie aux tantes tout droit à leur revendication.
Germain Latour : Les deux orphelins, l'affaire Finaly 1945-1953, Fayard (2006)

Ainsi démarre l'affaire Finaly et Moïse Keller, touché par le destin tragique des enfants Finaly, engage le combat.

Avec les années qui voient les oppositions et les obstacles s'accumuler devant les démarches de la famille, l'affaire [...] quitte la sphère privée et locale pour occuper le devant de la scène et remuer l'opinion publique. S'y affrontent, en 1953, les autorités judiciaires, les gouvernements français et espagnol, le Vatican ainsi que deux communautés religieuses, l'une catholique, l'autre israélite. Au travers de cette affaire Finaly s'est rejouée, un demi siècle après l'affaire Dreyfus, une vieille querelle qui a contribué à façonner la trame culturelle de l'Europe [...].

Germain Latour, 2006



Haut de page Présentation des contributions

Les quatre textes qui suivent sont de nature et de caractère très différents :

  • Le témoignage de Robert Finaly nous rend sensible la situation de ces enfants déracinés, trimballés sans qu'à l'époque ils en comprennent les raisons.
  • Le témoignage, inédit, de Guy Brun est lui très émouvant en ce qu'il nous montre un enfant qui souffrait des conditions de vie qu'on lui faisait, et qui explicitement regrette qu'un Moshe Keller ne se soit pas occupé de lui.
  • Anne Rabinovitch nous présente l'engagement total de Rabi dans cette affaire, avec ce sentiment aigü de la justice et de la laïcité qui l'animait, au delà même de sa profession de magistrat.
  • Le texte de Jean-Pierre Keller est plus polémique, car Jean-Pierre Keller ne souffre pas que le combat laïque de son père pour défendre les droits d'une famille juive, violemment traumatisée de surcroît, puisse être dénaturé et présenté comme un combat inter-religieux, celui de la Communauté juive contre l'Eglise, alors qu'il s'agissait bien d'un combat judiciaire, celui de l'Eglise contre la République.

Bien que la réalité du combat laïc de la famille Finaly contre l'Eglise en vue de recupérer ses enfants soit solidement établie, elle n'en est pas moins l'objet de révisions suspectes, et la conviction du Cercle Bernard Lazare - Grenoble est qu'il est par conséquent bon et nécessaire de la réaffirmer avec force, surtout en cette époque où la laïcité est méchamment malmenée.


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Table ronde du 5 février 2009 au Palais du Parlement de Grenoble

Je suis né en 1941, à Grenoble, d'une famille juive d'origine autrichienne qui a fui son pays natal, l'Autriche, à cause des persécutions nazi dans ce pays. Mon frére est né un an et demi plus tard. Mon pére a fini ses études de médecine à la faculté de l'Université de Vienne et a commencé à exercer sa profession dans cette ville. En 1937 il a connu notre mère Anni Schwarz, de Gmund, une ville à la frontière Austro-Tchécoslovaquie. Ils se sont mariés en 1938 dans la tradition juive à la communauté Israélite de Vienne. La famille de ma mère comptait des commerçants aisés. Ils durent fuir Gmund et sont morts dans un camp de concentration en Pologne, sauf son jeune frère Otto. Mon oncle Otto s'est enfui à Shanghai - Chine - d'où il revient, à Vienne, après la guerre. Mon père était le plus jeune des 5 enfants de mes grands parents, Samuel Finaly et Bertha née Muller. Ils étaient originaires de Hongrie.

En 1939 la famille de mon pére s'est dispersée dans le monde à cause de l'invasion du nazisme en Autriche. Ses deux soeurs ainées, Margarette, surnommée Grette, et Louise se sont enfuies en Nouvelle Zélande avec leurs maris et enfants. La troisième, Hedwig, est arrivée à Tel Aviv avec son mari et ses deux enfants, Miriam et Michel. Son frère aîné Richard, qui était photographe, (un des premiers photographes juif de Vienne), est resté dans sa ville natale. Sa femme et ses deux enfants se sont enfuis en Angleterre. Mon oncle Richard est rentré dans la résistance autrichienne et il a été assassiné dans un camp de concentration polonais. Mon père, dont le permis de pratiquer la médecine a été annulé à cause de son origine juive, a réussi à acheter des billets de voyage pour le Brésil. Le voyage de mes parents a été interrompu en France parce que l'appareillage du bateau à partir du port de Cherbourg a été annulé. Ils se sont installés dans un petit village pas loin de Grenoble, La Tronche. Comme mon père était d'origine autrichienne, pays ennemi de la France en ces temps, il a été arrêté et transféré dans un camp de travail pas loin de Grenoble où il travaillait à l'infirmerie. Après un certain temps d'emprisonnement, il fut libéré et retourna vivre à La Tronche. Comme il n'avait pas de permis d'exercer la médecine en France, il exerçait son métier clandestinement avec l'aide de médecins et pharmaciens locaux.

La région de Grenoble faisait partie de la zône conquise par les allemands pendant la deuxième guerre mondiale. Malgré cela, moi et mon frére nous avont été circoncis huit jours après notre naissance comme la coutume juive l'exige. A cause de la peur qu'avaient mes parents d'être arrêtés par la gestapo, ils nous ont mis en securité dans une pouponnière de la région. Mes parents, malgré leurs précautions, ont été arrêté par les allemands en février 1944. Les gens de la région ont raconté qu'ils avaient ete dénoncés par un collaborateur. Ils ont été transférés à Drancy et envoyés à Auschwitz le 7 Mars 1944 dans le convoi 69 dont ils ne sont pas revenu. A la pouponnière, où nous étions en pension, quand les propriétaires ont appris que mes parents avaient été déportés, ils ont pris peur des représailles que les allemands pouvaient leur faire, et nous ont transférés chez les soeurs de Notre Dame de Sion de Grenoble, qui en ces temps cachaient des familles juives de la prise de la gestapo. Parce que nous étions trop jeunes pour leur institution elles nous ont transférés à la crèche municipale de la place Saint Bruno, à Grenoble, sous la direction de Mlle Brun. Elle élevait deja 4 orphelins et cachait quelques familles juives dans sa maison de campagne à Vif, petit village pas loin de Grenoble. Ces familles l'ont remerciée aprés la guerre. Pour nous deux, Robert et Gérald, elle décida d'un autre sort.

Après la fin de la deuxième guerre mondiale, en mai 1945, en apprenant que leur plus jeune frére et sa femme avaient été déportés et qu'ils n'étaient pas revenus, et que nous deux nous vivions chez Mlle Brun, nos tantes, qui vivaient à Auckland en Nouvelle Zélande, Grette Fische et Louise Rothbaum, firent une demande par lettre à Melle Brun afin que nous venions vivre chez elles en Nouvelle Zélande, comme le voulaient nos parents. Elles la remercièrent de nous avoir sauvés des mains de la Gestapo et de nous avoir recueillis chez elle. Melle Brun, avec différentes excuses, a refusé de nous faire revenir dans notre famille. En 1948, trois ans après la première démarche de nos tantes, Melle Brun nous a fait baptiser. On est formellement devenus des catholiques. Depuis ce moment l'église, par l'intermédiaire des soeurs de Notre Dame de Sion, nous a pris sous sa direction.

Ma famille de Nouvelle Zélande, en voyant les difficultés que Melle Brun accumulait, ont transmis la poursuite des démarches nécessaires pour qu'on vienne vivre dans notre famille à ma tante et mon oncle Edwig et Moshé Rosner qui vivaient en Israël, état juif qui venait d'être fondé en mai 1948. En faisant cette démarche, elles pensèrent que cela serait plus facile de continuer la lutte pour nous reprendre dans la famille.

Notre famille, vivant en Israël, a prié son ami, Moïse Keller, qui vivait à Grenoble, d'être leur représentant pour qu'il puisse diriger le conflit contre le dogme catholique selon lequel un enfant baptisé n'appartient plus à sa famille non chrétienne, mais à l'église. Moïse Keller, par l'intermédiaire de différentes personnes, a réussi à ébranler, à réveiller l'opinion publique en France et à l'étranger pour mettre une bonne fin au sort que nous subissions nous deux, Robert et Gérald.

Après des débats juridiques, des disputes dans la presse et des pourparlers avec l'église qui ont duré jusqu'à la fin du mois de mai 1953, nous sommes rendus à notre famille. Pendant ce temps nous étions cachés dans différents collèges en France et différents pays. En juillet 1953, après être revenus de la partie basque espagnole et avoir passé un mois dans la région parisienne, nous avons pris l'avion, avec notre oncle et tante, pour Gedera, petit village en Israël.

Grâce à l'éducation que j'ai reçue, ainsi que mon frère, de notre famille d'Israël, mon oncle Moshé et ma tante Hedwig, nous sommes revenus à la tradition juive, comme mes défunts parents le voulaient. Je suis devenu médecin et je mène une vie normale comme toute personne vivant dans son entourage naturel.

Dr. Robert Finaly


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Table ronde du 5 février 2009 au Palais du Parlement de Grenoble

Je remercie les organisateurs pour cette invitation. J'ai accepté de témoigner dans cette table ronde pour accompagner ceux qui furent mes frères de 1943 à 1953.

C'est un témoignage de l'intérieur sur ce qu'aurait pu être aussi leur vie d'adolescents telle que je l'ai vécue jusqu'en 1960.

Bébés, entre 2 et 4 ans, nous avons subi la perte ou la disparition de nos parents respectifs. Il faut souligner l'acte de bravoure et de générosité de Melle B. qui, à cette époque, nous a recueillis tous les trois, en fratrie, nous mettant hors de danger en tant que résistante. Nous lui devons très certainement la vie. En cela nous lui sommes reconnaissants.

Je me rappelle bien ce jour à Vif où la Gestapo est venue rafler, sur dénonciation semble-t-il. Je me rappelle que tous les trois nous étions cachés dans une niche murale derrière une palissade. Nous avions ordre de Marie, qui nous gardait, de ne pas broncher. Je me rappelle le bruit de leurs bottes et leur langage. Ce jour là nous en avons réchappé grâce à la responsabilité de Melle B. et à la bravoure de Marie Duffourd.

Marie.

Aussi loin que puissent remonter mes souvenirs, nous n'avions pas de noyau familial. Notre mère affective c'était Marie. C'était notre seul contact hors des pensionnats. C'était une vieille fille courageuse, généreuse avec un coeur immense, issue de la campagne savoyarde à Presle d'une fratrie paysanne de 8 enfants. En grandissant nous avons eu des contacts généreux avec sa famille de grande bonté.

Elle fut embauchée par la municipalité de Grenoble, sans diplôme, et placée au service exclusif de Melle B. Dire que Marie était placée aux bons soins de Melle B. serait un euphémisme à cause de l'autorité outrancière de Melle B., dénoncée encore aujourd'hui par des employées de la crèche toujours vivantes, comme étant inhumaine, dictateur, caractérielle. Particulièrement envers Marie qui recevait des coups et qui était régulièrement insultée.

A ce moment-là les salaires du personnel étaient distribués à la main par la directrice : je peux vous dire que celui de Marie passait en quasi totalité dans la poche de la directrice. Marie fulminait devant nous mais pas devant la directrice. Elle avait certes quelques problèmes de comportement difficiles à vivre pour nous enfants, mais quelle générosité de coeur ! Melle B. ne l'a jamais virée dans la rue comme elle le faisait avec d'autres employées qui attendaient devant le portail, elle avait trop besoin de Marie.

Nous étions toujours pensionnaires ; nos rares présences pendant les vacances scolaires nous mettaient automatiquement en présence de Marie. Nous ne croisions Melle B. que deux ou trois fois par an à condition de faire preuve d'une très grande soumission. Il fallait vouvoyer celle qu'on nous disait d'appeler maman, celle qui nous embrassait seulement devant une tierce personne.

Melle B. aussi appelée la « marquise »

Qui est Melle B. ? Quels sont ses ressorts ?

Elle est née le 12 mai 1893 (elle avait donc 52 ans en 1945), et elle décédée dans un service de gériatrie le 25 octobre 1988 à Coublevie à l'âge de 95 ans, étant sous tutelle.

Elle était fille de cafetiers à La Tronche. Son frère, « caïd », a été abattu dans une ruelle à la Tronche par la pègre dans les années 40/50. Elle faisait déjà les quatre cents coups vers l'âge de 13 ans et grimpait sur les tables à 14 ans. Interne dans une maison de redressement, elle faisait le mur pour retrouver son amant notoire : le boulanger.

Elle a tenté sans succès d'obtenir le diplôme d'infirmière. Puis elle a fait connaissance avec le Dr. Martin, maire de Grenoble, devenu son amant. Il l'a embauchée directement comme directrice de la crèche municipale St Bruno. Il y avait sur place une infirmière diplômée, Mme Vasdev et une employée faisant fonction d'infirmière, Mme Pujos.

Melle B. s'est manifestée par des coups d'éclat (par exemple elle a aidé, sans réserve, une famille juive voisine, propriétaire d'une usine de textiles, en prenant des risques devant la Gestapo).

Elle a accepté du réseau de résistance deux enfants juifs à la crèche, Robert et Gérald. Nous sommes en 1944, je suis arrivé à la crèche en 1942 dans les bras de ma maman, par la filière Notre Dame de Sion.

Enfants, nous étions cachés tantôt à la crèche, tantôt à Vif où Melle B. disposait d'un appartement austère de l'évêché où avaient logé des religieuses, géré par l'abbé Pichat (curé baptiseur).

Dans la vie de Melle B., il y a eu plusieurs autres enfants placés chez elle par l'assistance publique, une fratrie de 5 enfants dont les parents avaient été déchus :

  1. Loulette Marquet née le 5 mars 1927, donc âgée de 18 ans en 1945, année où elle est légitimée par Melle B. Elle se marie vers 1950 contre la volonté de Melle B.
  2. Louis Marquet. Handicapé, lui aussi légitimé Brun, devenu père missionnaire de l'Assomption. Décédé.
  3. Jojo Marquet, non légitimé, décédé adolescent au cours d'un exercice sportif scolaire. Melle B. s'est attribué la responsabilité de sa mort puisqu'elle considérait que Jojo, ayant été privé de petit déjeuner ce matin là à titre de punition, avait chuté de la corde à grimper à cause de la punition.
  4. Casimir Marquet qu'elle n'a jamais pu amadouer parce que réfractaire. Il est devenu ouvrier.
  5. Une dernière fille, qui n'a jamais été légitimée et dont je ne connais pas le prénom. Elle travaillait comme dame de compagnie chez un couple âgé qui lui a légué sa maison, que Melle B. a tenté en vain de récupérer.

- Il y avait une certaine Thérèse, dite de Lyon, restée à la crèche jusqu'à l'âge de 10 ans.
- Marie-Claire, née en 1948, confiée à Melle B. par l'assistance publique, a été adoptée sur le même acte d'adoption que Guy en 1951.
A noter que l'acte d'adoption de Guy, datant du 23 avril 1951, s'appuyait sur le jugement tutelle qui installait Melle B. tutrice légale le 23 février 1951 avec la mention « considérant que la mère de l'enfant n'a jamais donné de ses nouvelles et est actuellement sans résidence ni domicile connus. C'était un mensonge.
- Puis la petite dernière, Marie-Antoinette, née en 1954, confiée par l'assistance, publique à l'âge de 1 an, mais non adoptée.

Pour résumer : quatre adoptés : Loulette, Louis, Guy et Marie-Claire, sept de passage plus ou moins longtemps.

Avant 1951 on m'appelait illégalement Brun. Après 1951 on m'appelait tout aussi illégalement Brun. Nous verrons pourquoi.

Dans la vie, Melle B., vieille fille certes, avait des relations amoureuses très nombreuses et connues. Dans les années 50, n'a-t-on pas vu l'abbé Doucet-Bon, en chemise de nuit, coincé sur la terrasse de sa chambre au premier étage de la crèche, attendre l'arrivée des pompiers pour cause d'incendie ?

Melle B. m'a répété cent fois que ma mère m'avait abandonné, qu'elle ne connaissait pas son nom, qu'elle était partie avec un GI aux USA, que mon destin était l'assistance publique si je ne filais pas droit. « Vous les juifs vous n'êtes pas reconnaissants. Je t'ai élevé ».

Elle mentait. Elle me cachait ma véritable identité. Elle disait qu'elle me supportait financièrement, c'était faux. Elle était soutenue financièrement par Notre Dame de Sion (référence à maintes reprises par l'historienne Madeleine Comte.) Elle percevait des allocations. Elle ne m'a jamais habillé, ni nourri, ni hébergé à ses frais. Nous étions habillés grâce à des dons (je me rappelle encore des chaussures de maquereau), c'est Marie qui nous donnait à manger à ses frais pendant nos vacances. C'est grâce à la municipalité qu'on disposait d'un espace dans un étage désaffecté de la crèche. Espace d'ailleurs où étaient stockées, bien alignées, une bonne trentaine de belles malles de transport capitonnées et bien remplies. D'où venaient-elles ? où sont elles passées ? Elles étaient encore là vers 1945/1950. L'étage a été réhabilité peu avant 1952.

Ma salle de bain, c'était le bac en ciment de la buanderie en dehors des heures de service.

Ma maman.

Helen Kalmus est née le 11 janvier 1921 à Vienne (Autriche) dans une famille bien installée, proche de l'Empereur. La branche maternelle venait de Tchécoslovaquie (Königingshof). Ma mère avait des correspondantes de classe, Monique en Françoise Quénot, à Epinal. Elle est revenue leur rendre visite en 1939. Elle a été considérée comme étrangère en fuite, internée par les Français, ses papiers d'identité confisqués. Un jour ses gardiens ont pris la fuite à leur tour en laissant les détenus se libérer eux-mêmes.
A 20 ans elle rejoint la France libre. Elle sera contrôlée et internée à plusieurs reprises. Je cherche encore dans quels camps.

Fort heureusement, elle était en contact avec un avocat parisien Wormser qui séjournait à Grenoble, il lui a conseillé de s'adresser à Notre Dame de Sion de Grenoble. Elle y a rencontré une soeur ancelle (soeur qui portait l'habit sans avoir prononcé les voeux), c'était soeur Joséphine. Leur premier contact a été déterminant. La mère supérieure l'accepta pour chaperonner sa jeune religieuse, une des seules autorisées à sortir à l'extérieur de l'institution pour les affaires courantes, à condition précisément qu'elle soit chaperonnée par une femme non religieuse. Le tandem était né, le gîte et le couvert assurés. Cette soeur ancelle était une grande résistante. Elle fabriquait elle-même des faux papiers, s'approvisionnait illégalement en tickets de rationnement, portait assistance à toutes les misères, aux yeux et à la barbe de l'occupant et des uniformes français. Ma maman a accouché à hôpital de La Tronche le 20 août 1941, et m'a prénommé Guy Paul. Soeur Joséphine a reçu ma maman dans sa maison familiale à Chapareillan en Savoie par amitié et pour la mettre à l'abri. On lui attribue environ 800 familles secourues. Elle a été déclarée "juste" à Yad Vachem. C'est elle, en compagnie de ma maman, qui m'a déposé à la crèche St Bruno. Ma maman venait régulièrement, malgré les contrôles, me rendre visite tout en potassant ses cours. La fin de la guerre nous a séparés en 1945. Elle devait impérativement rejoindre ses parents immigrés aux USA (sur leur demande). Elle est partie effectivement fiancée à un GI avec un visa temporaire de 4 mois. Impossible de se marier à cette époque avec un enfant de quatre ans sur les bras.

Pourtant, bien que mal mariée, dès 1945 elle m'a réclamé par plusieurs courriers adressés à Melle B. Je le sais, elle me l'a dit en 1980 quand j'ai eu l'immense bonheur de la retrouver. Mais les réponses de Melle B. étaient identiques à celles faites à la famille Finaly : « attendez, il est bien, le voyage risque d'être trop long et fatiguant ». Avec ma maman nous n'avons pas eu la chance d'avoir le nom de Moïse Keller dans notre carnet d'adresses. C'était justement le début de l'affaire Finaly.

Notre enfance a été marquée par un enfermement perpétuel, les clôtures des pensionnats catholiques. A Voiron, à l'école Portal St Joseph, nous étions pensionnaires à l'internat, mais nous avons aussi résidé chez deux vieilles filles, Melles Berland, toutes deux enseignantes à Portal. Nous étions enfermés à clé dans une chambre au 1er étage sans même avoir accès aux WC. Je me rappelle qu'une nuit j'ai du faire mes besoins sur une feuille de papier journal à même le sol. Les vieilles filles ont été très surprises de trouver ce paquet jeté dans leur jardin.

Durant l'année scolaire 52/53 on m'a demandé de choisir une autre identité avant d'être enfermé dans un petit séminaire. J'ai choisi Pierre Perrin. Ca a duré un an de prières du matin au soir, les matines, les vêpres etc. C'était la conséquence de l'affaire Finaly durant laquelle le clan Brun voulait me soustraire à de possibles revendications religieuses ou politiques. Ma longe période de pensionnat à la Ravoire près de Chambéry fut égayée grâce à mon ami Pierre Pallud qui m'accueillait en fin de semaine dans sa famille à Chambéry.

Grenoble ou Vif, c'était pour les vacances scolaires uniquement, avec Marie. Nous étions réquisitionnés de temps en temps pour nous rendre à la bijouterie Rochet toute proche afin d'y déposer des pièces d'or de Melle B. contre de l'argent. Je sais que Melle B. a découpé en lamelles un manteau de fourrure des Finaly en espérant y trouver des valeurs. Elle détenait deux malles de voyage et divers objets venant de la famille Finaly.

Pour parler d'argent, non seulement je n'ai rien coûté mais j'en ai rapporté.

A 16 ans, juste avenu de passer le BEPC, j'ai été subitement désigné apprenti fourreur pendant un an dans une famille parisienne, Eliaschef Henri et Gabrielle, famille juive que Melle B. avait secourue à Vif pendant la guerre. Un an pour promener le chien.

De retour à Grenoble j'ai été admis aux beaux-arts quelques mois.

Puis j'ai été employé municipal pendant un an au cabinet d'architecture de Grenoble sous les ordres de M. Gourin et par voie de conséquence du Dr. Martin, maire de Grenoble.

Puis j'ai été embauché pour deux ans comme manoeuvre en bâtiment soit disant pour faire acte de candidature à l'école des conducteurs de travaux à Strasbourg qui admettait sans diplôme à condition d'avoir deux ans d'expérience comme chef d'équipe.

Je n'ai jamais touché un centime de mon travail. Melle B. a tout confisqué, l'apprentissage, la gratification versée par la mairie, les deux ans de salaires sur les chantiers. J'ai su que j'avais eu des salaires grâce au bilan de carrière pour retraite.

Le 20 décembre 1960, à l'âge de 19 ans et 4 mois, j'ai signé un contrat de volontaire parachutiste qui a duré 29 ans. Il m'a permis de couper cette relation contre nature à 600 km de distance.

A 20 ans, j'ai été convoqué par mon chef de corps auprès duquel s'était plainte Melle B. de ne pas recevoir de courrier de ma part. Elle voulait savoir combien je gagnais et m'a envoyé son n° de CCP.

En 1961, délivré des premières contraintes professionnelles, j'ai entamé en cachette des recherches pour retrouver ma vraie maman. J'ai été systématiquement rabroué, renvoyé vers Melle B., considéré comme un ingrat. Melle B. me reprochait ma démarche tout en distillant quelques banalités invérifiables sur mon identité. J'ai fait un grand nombre de démarches, à Grenoble et dans le monde. J'ai pu découvrir mon acte de naissance intégral en 1962 après un quatrième coup de force auprès de l'Etat Civil de La Tronche.

J'avais posé maintes fois mes questions à des religieuses de Sion. Puis un jour en 1979, ce fut le déclic. La soeur ancelle, ancien binôme de ma maman. déjà contactée à plusieurs reprises, a finalement accédé à mes demandes en me faisant parvenir un journal américain daté de 1953 dans lequel figurait le reportage d'une journaliste locale qui louait Melle B. à propos du procès Finaly. C'était ma maman.

Le télescopage entre l'histoire de Robert et Gérald et la mienne est troublant.

Le 11 janvier 1980, à l'insu de Melle B., ma maman et moi avons communiqué par téléphone pour la première fois. C'était le jour de son anniversaire. Dès l'été nous sommes tombés dans les bras l'un de l'autre. J'ai découvert l'existence de ma vraie maman. Je pouvais m'identifier à elle, à son histoire et à son amour maternel qui m'avait tant manqué.

Elle m'a expliqué ses vaines tentatives épistolaires pour me récupérer. Melle B. avait tergiversé, remis à plus tard. Maman s'était résignée car mal mariée, sans avocat et sans Moïse Keller. Dès 1987, elle a accueilli notre dernier fils, Olivier, chaque année pendant toutes les vacances d'été et lui a ouvert la porte des USA. Elle m'a dit « Ce que je n'ai pas pu faire pour toi, je le fais pour Olivier ». Il y a fait ses études supérieures et il y vit très heureux.

Ma maman, ancien professeur d'allemand et de français, est décédée trop tôt en 2007 à l'âge de 86 ans.

Avec Robert et Gérald nous gardons un contact téléphonique ou internet et nous rencontrons le plus souvent possible.

Ce témoignage est une page de souvenirs communs avec Robert et Gérald, mais aussi de ce qu'ils auraient pu subir. Je le dédie à Robert et Gérald, et, accessoirement, souhaite le transmettre à nos enfants et à qui veut l'entendre.


Haut de page Rabi et l'affaire Finaly, par Anne Rabinovitch

On reparle beaucoup de l'affaire Finaly depuis quelque temps, mais on ne parle pas beaucoup de Rabi ni du rôle qu'il a joué dans cette affaire. Ainsi, ni les deux documentaires, ni le téléfilm récemment diffusés ne le mentionnent.

En 1962, dans son ouvrage intitulé l'Anatomie du judaïsme français [1], Rabi écrit : « Personne ne voulait d'une affaire Finaly. Elle a éclaté malgré nous. Aucun antichristianisme ne nous animait, ni aucun anticléricalisme. Les uns et les autres, au sortir de la guerre, nous avions mené la dure expérience qui nous avait progressivement libérés des soupçons de l'histoire, des mythes et des fantômes. L'affaire n'en fut que plus pénible.(...)
De la nuit de l'histoire jaillissaient les anciennes rancunes. On nous avait accusés de meurtre rituel, mais aujourd'hui les Chrétiens se livraient à l'enlèvement rituel.(...) Nous savions aussi que cette affaire n'était nullement isolée, qu'il y en avait d'autres analogues, des centaines d'autres. On avait tué un million cinq cents mille de nos enfants, et maintenant on entendait nous voler les survivants. Nous ne pouvions pas nous permettre de perdre ce combat.
»

En 1977, Rabi a proposé aux éditions Lattès un projet de livre sur l'affaire Finaly. L'éditeur lui a répondu que cette affaire était enterrée depuis vingt-cinq ans, et n'intéressait plus personne.

Le 16 novembre 1952, Rabi fait une conférence à Grenoble. Il va ensuite chez le Dr Moch qui lui annonce la visite d'un certain M. Keller. « Il doit venir vous parler d'une affaire. »

« C'est la première fois, écrit Rabi dans L'Affaire Finaly, des faits, des textes, des dates [2], qu'une famille réclame avec fermeté son dû, et s'élève avec vigueur contre la toute-puissance qui entend faire régenter les rapports humains par le droit canon et non par le droit civil.
Cela est dû au courage d'un homme, détaché de tout fanatisme, mais dévoré de feu prophétique, M. Keller, qui se considère en la circonstance comme le mandataire non seulement de la famille Finaly, mais du judaïsme. C'est Péguy qui a su admirablement parler d'Israël, de ce peuple qui a fourni des prophètes innombrables. Et ce feu prophétique, selon les circonstances, pouvait se révéler chez le plus humble des hommes de ce peuple. Lorsqu'en juillet 1948, M. Keller reçut la lettre de son vieil ami Rosner, pas un instant il n'hésita. Le destin avait frappé à sa porte. Il ne se déroberait pas à son appel.
»

Pendant une heure, Keller fait à Rabi le récit de la bataille judiciaire autour des enfants. Rabi est au comble de l'indignation. « Le seul moyen d'obtenir justice dans cette affaire, dit-il, c'est de saisir l'opinion publique. » Il envoie à « la Terre Retrouvée » un article qui est publié en décembre 1952. C'est le cri d'une conscience indignée. L'article prend des proportions que Rabi n'avait pas soupçonnées. Keller en a commandé une centaine d'exemplaires qu'il distribue partout. Rabi écrit : « Voici revenus les jours du danger, de l'angoisse et de l'affrontement.. »

Le 3 février 1953, les journaux annoncent la fin de l'affaire. Les enfants ont été découverts à Bayonne. Keller est parti les chercher. Décontenancé par une fin aussi rapide, Rabi envisage de les accueillir à Briançon si c'est nécessaire. Il se demande : « Et si les gosses veulent aller à la messe, qu'est-ce que je vais faire? » Il reçoit alors un coup de téléphone de Keller, la voix décomposée, qui lui apprend le rapt des enfants. « Je m'en doutais, écrit Rabi. Ils sont capables de cela aussi. (...) On manque de prêtres en France. On vole donc des enfants juifs. Si nous sommes hostiles aux conversions, c'est que nous avons l'exemple de l'Histoire. L'Inquisition a été créée par des conversos. On tue les pères, on vole les enfants. Le cercle est complet. »

Dimanche 8 février 1953, Rabi et Keller ont une discussion après la visite, chez l'avoué de Keller, d'un émissaire de Gerlier qui a proposé une transaction : placer les enfants dans une institution juive en attendant l'arrêt de la Cour de cassation, en échange de la suspension des poursuites. Rabi et les Keller disent non. Ils veulent une victoire totale.

Cependant Rabi est troublé par l'insistance du parquet. Il vit l'affaire au jour le jour, avec violence, révolté contre l'injustice. « Cette affaire nous engage historiquement », dit-il à Keller. Il est déchiré par le sort de ces enfants, « qui pourraient être les siens ». Le 26 février 1953, il fait une conférence à Marseille. La salle est comble. On refuse deux cents personnes. A l'entrée, un car de police. Au téléphone, Keller lui dit :« Vos articles sont très mal perçus par le haut clergé. » Articles qui sont déjà censurés par « la Terre Retrouvée », qui lui demande de baisser le ton. Mais les lecteurs écrivent à Rabi des lettres bouleversantes pour l'encourager dans sa lutte. Le poète Emmanuel Eydoux lui dit, après la conférence : « On nous rendra des cendres d'âmes comme les nazis ont rendu des cendres à Auschwitz. »

Rabi commence à écrire sa brochure sur l'affaire. « Déchiré, obsédé, à tel point que je ne lis dans les journaux rien d'autre que ce qui a trait à l'affaire. Notre confiance a été abusée. La résistance opposée par l'Eglise à rendre les enfants ébranle pour toujours notre confiance en la Chrétienté. »

Le 26 mars 1953, il fait une conférence à Genève où il se rend avec Keller. Le public suisse fait un accueil plus réservé que celui de Marseille.

La brochure paraît. Trois mille exemplaires partent aussitôt. Un lecteur propose de répondre au rapt des enfants Finaly par le rapt des enfants Mauriac. Rabi est très pessimiste. Il pense que Robert et Gerald ne seront jamais rendus.

Le 30 mai 1953, Rabi se trouve au tribunal de Grenoble. Il a une conversation avec l'avocat général qui lui dit : « L'affaire s'enlise. » « C'est bien vous qui avez conclu à la mise en liberté ? » réplique Rabi. « Oui, mais sous la pression du garde des Sceaux, reprend l'avocat général. Il n'y a plus d'indépendance dans la magistrature. » Rabi voit aussi ce jour là l'avoué Goubert qui lui déclare : « Je n'ai jamais vu dans aucune affaire autant d'hypocrisie et de mensonge. Le garde des Sceaux m'a téléphoné jusqu'à cinq fois par jour. Et les calomnies, les ragots, et que j'étais un ennemi de l'Eglise... On a exercé des pressions sur Bouygues, un catholique qui a des membres de sa famille dans les ordres. On lui a dit que le pape avait accordé à la Brun le droit de ne pas se soumettre. »

Le 26 juin 1953, Mme Keller téléphone à Rabi. Les enfants sont en France. Rabi écrit: « Mon rôle est terminé. »

Le 22 juillet 1953, il a une longue conversation avec Keller qui lui dit: « Que voulez-vous, cette victoire est escamotée. J'ai fait de très gros sacrifices. Chacun a donné, mais un peu seulement. Moi, j'ai tout donné. » Et Rabi lui répond : « Ce que je pense de vous, je l'ai dit et écrit. Au surplus, c'est moins de vous qu'il s'agit que du grand génie juif, ce génie juif qui élève chacun des hommes d'Israël à son plus haut point de tension, lorsque le doigt de Dieu s'est posé sur lui. »

Le 25 juillet 1953, a lieu à Briançon le banquet des avoués de la Cour. « Je vois Goubert, écrit Rabi. Il fait : "dites bien à Keller, il faut que les enfants partent le plus tôt possible. Avec ces gens, il faut tout craindre". »

Le 25 juillet au soir, Robert et Gerald Finaly s'envolent pour Israël.

Je concluerai par une citation du dernier livre de Rabi, Un peuple de trop sur la terre ? [3], qui fut en quelque sorte son testament spirituel, et qui résume brièvement le sens de son action, et pourrait-on dire, le sens de sa vie : « Marginal, je l'ai été. Au temps même où je rendais la justice, je n'ai jamais eu le sentiment de le faire au nom du peuple français, mais au nom de l'idée que j'avais du peuple français et au nom de mes conceptions juives de la justice. J'ai toujours conservé cette distanciation dialectique à l'égard de la France, plus haute, plus noble que celle des lâchetés d'avant-guerre, du racisme d'après-guerre et de la Realpolitik d'après 1967, mais aussi, le désir profond d'y pénétrer avec ferveur. »

Anne Rabinovitch
Grenoble, le 5 février 2009

[1] Editions de Minuit, 1962.
[2] Cercle Intellectuel pour le rayonnement de la pensée et de la culture juives, Marseille, 1953, réédité en 2009 par les Editions Transhumances
[3] Les Presses d'aujourd'hui, 1979.


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Rappel :

Depuis trois ans déjà, c'est-à-dire depuis 1945, une des tantes des frères Finaly, Margaret Fischl, vivant en Nouvelle Zélande, avait tenté d'obtenir de Mlle Brun qu'elle lui confie les deux frères. M. Fischl sait que A. Brun a sauvé les enfants en les cachant depuis que leurs parents furent déportés en février 1944. Au bout de trois ans de réponses dilatoires de Mlle Brun, puis manifestement de mensonges, puis de silence total, M. Fischl demande à une de ses soeurs, Judith (Edvige) Rosner, vivant plus près de France, à Gédéra en Israël, de reprendre les efforts pour obtenir la garde des enfants. Ce fut ainsi, par le truchement d'amis communs de mon père et des Rosner, que mon père fut contacté en juillet 1948, tout d'abord informellement, parce que Grenoblois, pour reprendre contact avec Mlle Brun, en vue de confier la garde des enfants Finaly aux Rosner.
A partir de 1948. et pendant les 4 ans qui suivent, il cherche à obtenir légalement en tant que mandataire de la famille Rosner qu'on lui remette les enfants. De 1948 à 1952 usant de toutes sortes d'artifices, mensonges et roueries procédurières, Mlle Brun parvient à éviter de rendre les enfants. La situation change à partir du 11 juin 1952 : ce jour là, la Cour d'Appel de Grenoble lui ordonne, de façon non-suspensive, de remettre les enfants, au plus tard le 16 juillet 1952. Au lieu de rendre les enfants elle les fait disparaître. Ils réapparaîtront brièvement début février 1953 à Bayonne, pour disparaître à nouveau, en Espagne cette fois. La période 1952-1953 sera celle où le scandale éclatera, éclaboussant et les autorités ecclésiastiques françaises, et un gouvernement pas très sûr de vouloir faire respecter la loi. Ce scandale aura aussi un retentissement international, vu le rôle évident, mais pas net du Vatican et de l'Espagne dans son dénouement. Un moment marquant de cette période sera l'accord du 6 mars 1953 extorqué à la famille et à Keller par Gerlier et Kaplan en échange d'une restitution rapide des enfants - accord violé par Gerlier.

Je vais poser une question : 2006 a vu la parution de deux livres et 2008, de 3 films sur l'affaire Finaly. Y a-t-il un regain « d'intérêt » pour l'affaire Finaly ? Je pense que non. Pourquoi ne pas poser la question ainsi : « qui a demandé des nouvelles de cette affaire ? Et pourquoi donc doit-on devoir en consommer ? Et qui veut nous pousser à en consommer ? »

J'ai reçu, en juin 1993, une lettre de Moché Rosner, datée du 3 juin de cette année. Moché Rosner est l'oncle des Finaly auprès de qui ils ont vécu depuis 1953 et sont devenus adultes. Il écrit notamment (je traduis de l'anglais) :
« cher Jean-Pierre, après la visite des frères Finaly à Paris, en avril dernier, je ne pouvais pas continuer ma vie quotidienne comme si rien ne s'était passé. Je suis le dernier survivant de la famille qui a commencé l'Affaire depuis le début, et pendant les huit années de ce combat, j'y ai été très étroitement connecté. ...
Ce mois-ci, il y a 40 ans, les enfants ont été libérés, et confiés à ma femme Judith. [....] 40 ans sont passés, et durant tout ce temps là, les leaders de la communauté juive de France n'ont pas montré le moindre intérêt pour le bien-être et les progrès des enfants. 40 ans d'un silence total de leur part. Et voici, qu'au début avril, ou peut-être un peu avant, je reçois tout à coup un appel de Paris, annonçant la décision du consistoire de célébrer le 40ème anniversaire du retour des enfants. J'ai immédiatement compris l'intention : ils avaient décidé, apparemment sur proposition du Grand Rabbin Kaplan quasiment « d'honorer l'histoire » et à cette occasion d'engranger les félicitations et l'honneur d'avoir « réussi à convaincre l'église de rendre les enfants ». La victoire est la leur, M. Keller et la famille [les Fischl, Rosner, Schwarz] simplement n'existent pas ! Ce comportement hypocrite m'a mis très en colère et j'ai écrit deux lettres de protestation, l'une au Grand Rabbin Kaplan, et l'autre au Président du Consistoire. Copies de ces lettre sont ci-jointes. Je pense, qu'en l'absence de réactions des destinataires de ces lettres, ces lettres doivent être rendues publiques »

Effectivement, en avril 1993, les frères Finaly sont venus à Paris. Ils furent même interviewés, sur la 1ère chaine, par Elkabbach. Robert m'avait alors raconté qu'avant de passer en direct, Elkabbach lui avait recommandé de ne pas parler en direct de Keller ... ce à quoi Robert s'est empressé de désobéir, quelques minutes plus tard, au grand dam d'Elkabbach.

Ces deux lettres de Moché Rosner, écrites en français, pourront être publiées, par le CBL de Grenoble, s'il le souhaite. Par exemple, dans sa lettre à Jean-Pierre BANSARD Président du Consistoire, Rosner lui reproche dans son discours de bienvenue aux frères Finaly, d'avoir complètement omis de mentionner Keller; Rosner lui rappelle que durant les huit ans qui précédèrent le scandale, années essentielles dans ce combat pour rendre les enfants à leur famille, les dirigeants Juifs de Paris l'ignoraient, lui [Keller] et l'affaire Finaly, et ne lui prêtèrent aucun concours. [...] leur seul souci était de préserver leurs bonnes relations avec l'Eglise ; il note que dans la brochure du consistoire sur l'affaire Finaly on mentionne certes Keller, mais on l'affuble du prénom Maurice, au lieu de Moïse...

Voici quelques extraits de la lettre à Jean-Pierre BANSARD :
« Monsieur le Président,
J'ai reçu le fascicule « L'affaire Finaly » distribué par le Consistoire à l'occasion de la visite des frères Finaly à Paris, avec vos paroles de bienvenue. [...] Dans vos paroles de bienvenue, Monsieur le Président, vous évoquez l'Histoire, mais il ne s'agit pour vous que du dernier chapitre de l'Affaire Finaly, et les huit années qui précèdent sont passées sous silence. Mais ce sont ces années, justement qui importent dans la « bataille » pour les enfants Finaly. Un homme dynamique, acharné et infatigable a combattu contre les ravisseurs des enfants au nom de l'église catholique. Cet homme a représenté la famille Finaly : c'est feu Moché KELLER qui a oeuvré la plupart du temps en solitaire, car les dirigeants Juifs de Paris l'ignoraient, lui et l'affaire Finaly, et ne lui prêtèrent aucun concours, [...] leur seul souci était de préserver leurs bonnes relations avec l'Eglise. [...]
Depuis 40 ans ont passé. On aurait pu supposer qu'après si longtemps - le mur de Berlin étant tombé, le régime soviétique s'étant écroulé - le judaïsme français aurait une position positive quant à la période précédant les pourparlers, envers l'homme aussi qui avait déclenché le processus. Mais, dans votre discours, Monsieur le Président, rien n'annonce une nouvelle approche : aujourd'hui comme jadis, les huit ans de la lutte de la famille et l'acharnement d'un homme obstiné - Moché KELLER - ne sont pas mentionnés. On n'essaye pas même de comprendre que c'est grâce à eux uniquement que l'Eglise a dû accepter ces pourparlers. A vous entendre, on pourrait penser que la période des pourparlers constitue le début et la fin de l'Affaire Finaly, dont le héros serait le Grand-Rabbin Kaplan. De même, le livre du Grand Rabbin Kaplan, « l'affaire Finaly » est pour vous le seul apport littéraire ayant trait à l'affaire. [...]
Les informations citées dans le fascicule « l'affaire Finaly » comportent de nombreuses erreurs et inexactitudes en ce qui concerne les dates, les faits et les noms.
Deux exemples caractéristiques : notre nom de famille est ROSNER et non pas ROSSNER. Le prénom de M. KELLER est Moïse et non pas Maurice. Ces erreurs ne me semblent pas être le fait du hasard. Elles confirment la tendance qui veut biffer de l'histoire les huit années qui ont précédé les pourparlers de l'Affaire
»

On peut, sans doute avec quelque trivialité, penser que cette mise en scène en 1993, fut surtout une promotion pour l'ultime ouvrage de Kaplan, son livre « l'affaire Finaly », paru justement en 1993, aux éditions du Cerf. Voilà comment on contribue à un « regain d'actualité » pour l'affaire Finaly.

La même attitude - Keller n'existe pas - a prévalu à France Culture, quelques années plus tard, le 10 mai 1999, en promotion pour le livre de Germaine Ribière, « l'affaire Finaly, ce que j'ai vécu ». Noter au passage le titre accrocheur de « regain d'actualité ».
La présentation de cette émission sur le site internet de France-Culture ne mentionne, outre Mlle Brun et les enfants Finaly, que Germaine Ribière et ses douze aller-retour pour les ramener d'Espagne. Comme chez Tincq on y lit : « avec l'aide de N-D de Sion Grenoble, de certains prêtres, et le soutien implicite de Rome, Robert et Gérald se retrouvent cachés dans un couvent basque espagnol ». En somme ils ont fui avec l'aide de ...

Voici la présentation de cette émission sur le site internet de France-Culture :
L'HISTOIRE EN DIRECT 1953 : l'affaire Finaly. En février 1953, l'opinion française découvre l'incroyable histoire de la disparition des enfants Finaly. Robert et Gérald Finaly sont nés pendant la guerre d'une famille juive autrichienne émigrée en France. Très rapidement les parents les confient, par crainte des rafles, à la crèche municipale de Grenoble dirigée par Mlle Brun. M. et Mme Finaly meurent en déportation. Les oncles et tantes de Robert et Gérald les réclament dès la fin de la guerre à Mlle Brun qui en a la charge. Mais cette dernière ne répond pas à leur demande. S'engage alors une véritable course de fond pour la restitution des enfants Finaly à leur famille. En 1948, ils furent baptisés par Mlle Brun qui se sert de ce prétexte pour en appeler à l'Eglise. Procès, appel, cassation. Au début de 1953, il apparaît évident que Mlle Brun doit rendre Robert et Gérald à leur famille, émigrée en Israël. C'est à ce moment-là qu'après moult péripéties les enfants disparaissent. Avec l'aide de la supérieure de Notre-Dame-de-Sion à Grenoble, de certains prêtres et le soutien implicite de Rome, Robert et Gérald se retrouvent cachés dans un couvent basque espagnol. C'est là qu'après douze aller-retour entre la France et l'Espagne Germaine Ribière les retrouve fin juin 1953. Entre temps, communauté juive et Eglise de France sont passées tout près du conflit.
Avec André Kaspi et Annette Wievorka, historiens, Georges-Arthur Goldschmidt, écrivain et traducteur, soeur Anne Denise. Une émission de Emmanuel Laurentin

France-Culture a même diffusé alors une liste bibliographique, où figurait, outre ce que venait de publier Germaine Ribière, le livre de Kaplan, liste dont était omis celui de mon père. Ayant eu vent le matin, par hasard de cette émission, enregistrée en public le soir même, je réussis à m'y rendre. Lors du débat qui suivit l'émission, m'étant présenté comme un « fils Keller » tous les intervenants catholiques, soudain exhibèrent, gênés, de leurs porte-documents le livre de mon père et s'exprimèrent tous en des termes comparables « mais c'est ce livre qui est la bible de cette affaire ». Alors pourquoi ne pas l'avoir mentionné ?

Notons qu'aujourd'hui, le mythe « Keller n'existe pas » a de moins en moins d'adeptes. A défaut, si Keller a vraiment existé, on peut encore de nos jours le salir. Ainsi, sous la plume d'un chroniqueur du Nouvel Observateur du 25 novembre 2008 on peut lire: « l'entêtement presque fanatique de Moïse Keller, qui piétinera allègrement les voeux des enfants »

Mais la secte de ceux qui proclamaient « Keller n'existe pas » a défini une croyance particulière : Le précédent Finaly change la procédure pour l'avenir, puisque les chefs de l'Eglise rendent les enfants. Cette phrase est extraite d'une déclaration de Jacob Kaplan, le 29 juin 1953, devant les Comités Finaly, à Paris, après le retour des enfants.

La question de fond est la suivante : qui a rendu les enfants, l'Eglise ou la Justice? Quel a été l'instrument décisif de leur retour : l'accord du 6 mars 1953 ou la décision de la Cour de Cassation du 23 juin 1953 ?

Jusqu'au 11 juin 1952, l'Eglise n'hésitait pas : il était hors de question de rendre les enfants Finaly.

Puis il y a eu ce jour, la décision non-suspensive de la Cour d'Appel de Grenoble, ordonnant la remise des enfants à leur famille, ou à son mandataire, mon père.

Le cardinal Gerlier a cherché une stratégie pour pouvoir restituer à moindre coût. On peut penser qu'il l'a formulé fin juin-début juillet 1952.

Il s'agit d'une stratégie audacieuse : déplacer le « centre de gravité » de l'affaire, depuis le terrain d'un affrontement judiciaire, qui peut être désastreux, vers un terrain interconfessionnel, judéo-chrétien. Il faut donc hisser au premier plan un partenaire du rang de Gerlier, comme porte-parole du côté juif, pardon israélite.
En effet, depuis la fin de la 2ème guerre, en France, les autorités religieuses juives se sont montrées très timides, car au fond assez peu suivies par les juifs eux-mêmes. Rappelons que les survivants ne se sont pas tournés massivement vers les institutions religieuses ! Ce manque de représentativité des autorités religieuses juives peut même être considéré comme un avantage par Gerlier. Sur un terrain inter-confessionnel, Gerlier qui fut le protecteur de Kaplan durant l'occupation - cela mon père ne le savait sans doute pas - pense que Kaplan, désormais grand-rabbin par intérim, sera ce porte-parole idéal.

Cette stratégie a donc plusieurs volets tactiques :

  • déconsidérer Mlle Brun, qui serait une folle, une menteuse
  • cacher les enfants, négocier la rançon - négociation qui aboutit aux accords du 6 mars 1953
  • accréditer l'idée que l'Eglise a déployé des efforts très importants pour retrouver les enfants dont se seraient emparés des ravisseurs
  • trouver un partenaire juif, autre que les Comités Finaly, avec qui dé-judiciariser l'affaire

Trouver un partenaire juif

Concernant le dernier point, nous avons vu combien Kaplan fut un partenaire à la hauteur des attentes de Gerlier, au point de se considérer non seulement comme porte-parole, héraut (AUT) mais comme héros (OS).
Examinons les autres points

La tentative de déconsidérer Mlle Brun.

Probablement en août ou septembre 1953, mon père écrit dans un carnet personnel :

Le 28 mai 1953, devant témoins, le Père Chaillet [fait] cette déclaration mémorable : « si, dans trois semaines, les enfants ne sont pas revenus, le cardinal Gerlier ouvrira son dossier et dira ce qu'il faut penser de Mlle Brun. »

Les 3 semaines s'écoulèrent, sans le retour des enfants, mais le dossier ne fut jamais ouvert et le Cardinal n'a jamais dit ce qu'il fallait penser de Mlle Brun.

Par ailleurs dans ce même carnet, on lit à propos des quelques jours passés fin juin à Saint Léonard, avec les enfants Finaly, juste ramenés d'Espagne avec Germaine Ribière :

Pendant une longue promenade en tête à tête avec Mlle Ribière, celle-ci veut me convaincre que l'église, les prêtres furent les victimes d'une immense duperie de la part de Mlle Brun

L'Eglise a donc certainement pensé à faire complètement porter le chapeau par Antoinette Brun, et a laissé fuiter des idées allant dans ce sens. Sans doute pour évaluer si de telles rumeurs pouvaient paraître crédibles ...
Mais, comme l'a rappelé récemment Charlotte de Turckheim, l'interprète dans le téléfilm de Mlle Brun : « dans ma famille, Antoinette Brun était considérée comme une sainte ». Vu la popularité de Mlle Brun, dans les milieux catholiques, L'Eglise n'a pas pu la lâcher.

Les efforts très importants déployés par l'Eglise, pour cacher puis retrouver les enfants

Mon père et ses amis, son entourage, les Comités Finaly, Me Maurice Garçon, etc. soupçonnaient le cardinal Gerlier, primat des Gaules, d'avoir orchestré les tribulations des frères Finaly depuis juin 1952, jusqu'à leur passage clandestin en Espagne en février 1953. Le mémoire de Christian Portefaix, soutenu en septembre 1977 à Science-Po Grenoble, en apporte des preuves irréfutables.

Portefaix, a rencontré personnellement au 1er semestre 1977 des protagonistes importants du côté catholique de l'affaire, et les a interviewés. Notamment Mlle Brun, Mlle Luzet (pharmacienne et membre du conseil municipal de Grenoble en 1952), et l'Abbé Rey. Ce dernier a fait partie de la commission constituée, en janvier 1953, à la demande de Mgr Caillot, évêque de Grenoble à cette époque, pour examiner le cas de Mlle Brun et du baptême illicite des enfants Finaly. C'est cette commission qui conclura - preuve d'humour ? - « le baptême des enfants Finaly est sacramentellement valide et gravement illicite ». Portefaix dispose également d'un témoignage écrit de Mère Antonine (supérieure de N-D de Sion à Grenoble), daté du 20 juin 1977. Portefaix a également rencontré le Dr. Bernard Moch, Rabi, Mme Kaufmann et le rabbin Kahan de Grenoble. Des compte-rendus de ces interviews et témoignages, dans son mémoire, il ressort très clairement, que la décision de soustraire à tout prix les enfants Finaly à la justice française était déjà prise fin 1952, date des faits relatés par Mère Antonine à Portefaix :

avant de m'engager dans cette voie (apporter aide et soutien à Mlle A Brun) je vais demander conseil au Cardinal Gerlier, Primat des Gaules .... Le Cardinal Gerlier est formel. Ces enfants, validement baptisés, doivent être élevés dans la religion chrétienne. Il faut les soustraire à tout prix à toute récupération du milieu juif, jusqu'à la décision du Tribunal au sujet de la tutelle de Mlle Brun.

Effectivement Mère Antonine, supérieure de Notre-Dame de Sion à Grenoble, sera une personne très active, par exemple dans la cavale de Marseille à Bayonne. Elle fut même incarcérée pour cela.

Depuis quand Gerlier pense-t-il ce « il faut les soustraire ... » au coeur de sa nouvelle stratégie ? Cela intervient certainement après la décision du Tribunal Civil de Grenoble du 11 juin 1952, qui ordonne de façon non suspensive la remise des enfants Finaly à la Tutelle de Mme Rosner.
« Non suspensive », c'est-à-dire, dont le pourvoi en cassation de Mlle Brun ne suspend pas l'exécution. (Ce point précis n'avait pas été signalé par Gerlier à Mère Antonine; ce sera une raison supplémentaire de rancune contre Gerlier, car ainsi, complice d'un enlèvement, elle passera par la case prison) Ainsi la remarque de Gerlier « ...jusqu'à la décision du Tribunal au sujet de la tutelle de Mlle Brun » fait référence au pourvoi en cassation effectué par A. Brun.

Le seul fait que A. Brun disparaît, avec les enfants dès juin 1952, et que la police ne soit pas à ses trousses, alors qu'une décision de justice l'oblige à remettre les enfants, révèle un niveau de complicité élevé, incluant notamment le maire de Grenoble à cette époque. A ces indices s'ajoutent les interventions de l'ordre des franciscains à Vienne, en Autriche, auprès de Otto Schwarz, frère d'Anni Finaly, donc oncle des frères Finaly, puis à Strasbourg, où les franciscains collaborent à une tentative de corruption d'Otto Schwarz par Mlle Brun.

Cela veut dire aussi que cette décision de Gerlier est très antérieure à l'audience du 8 janvier 1953, celle où Me Maurice Garçon fit son entrée de façon très remarquée et inoubliable dans l'affaire Finaly. Et c'est une photo de Me Garçon lors de cette plaidoirie qui illustre notre rencontre ici, dans les lieux mêmes de cette audience.

L'historiographie officielle, celle qui est diffusée à ce jour, indique que Gerlier a fait parvenir une note au SaintOffice, le 14 janvier 1953 concernant l'affaire, et pour laquelle il reçut une réponse le 23 janvier suivant, lui recommandant précisément de soustraire à tout prix les enfants à toute récupération par le milieu juif, jusqu'à décision du Tribunal. Et le Saint Office d'ajouter : « Cette résistance ne devra cependant pas être poussée au point de causer de graves dommages, soit à cette personne [A.Brun], soit à la Sainte Eglise »

Que doit-on penser de cette historiographie officielle ? par sa note du 14 janvier, Gerlier cherche un parapluie pour une décision qu'il a prise depuis longtemps. Par contre, cette note du 14 janvier intervient tout juste quelques jours après l'audience du 8 janvier 1953, celle où Me Maurice Garçon fit son entrée de façon inoubliable dans l'affaire Finaly. Et la note de Gerlier indique combien il a peur du scandale qui s'étale au grand jour.

Le voilà soutenu par le Vatican depuis le 23 janvier; il organise le rapt de Bayonne du 3 février, notamment avec l'aide de Mère Antonine et de prêtres basques, et aussi, semble-t-il de celui qui allait devenir le Cardinal Etchegaray; puis il lance des émissaires secrets auprès de mon père et de Me Maurice Garçon, le 9 février pour négocier une restitution des enfants à moindre coût; puis il se sent alors des ailes pour alimenter une version compassionnelle et légaliste de ses propres crimes et délits, dans la déclaration commune de Caillot et Gerlier datée du 11 février 1953 :

Mgr Caillot évêque de Grenoble, en accord avec S.E. le Cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, s'adressant à toute personne ou groupement religieux ou laïque, qui connaîtrait le lieu de séjour des enfants Finaly, ou serait susceptible de fournir un renseignement à ce sujet, lui demande formellement de se faire connaître, avec ou sans intermédiaire, soit à l'autorité judiciaire, soit de toute autre façon.
Nul ne saurait être inquiété à l'occasion de renseignements fournis à cet égard en réponse au présent appel

Nous savons désormais que les enfants ne passeront en Espagne que le 13 février. En toute logique, Mgr Caillot, Gerlier lui-même auraient pu décrocher leur téléphone ce 11 février, sans risque d'être inquiétés (?), en disant : je sais où sont cachés les enfants.

Voilà, cette affaire, quel que soit le compte-rendu qu'on en fasse, doit suivre le fil d'une montagne inépuisable de mensonges, tous plus énormes les uns que les autres.
Germaine Ribière ramène les enfants en France le 25 juin 1953, deux jour après la décision de la Cour de Cassation, confirmant la décision de la Cour d'Appel de Grenoble, rendue un an auparavant, de confier la tutelle des enfants à Mme Rosner.

Qui donc a rendu les enfants, l'Eglise ou la Justice ?
Quel a été l'instrument décisif de leur retour : l'accord du 6 mars 1953 ou la décision de la Cour de Cassation du 23 juin 53 ?

A son retour, Germaine Ribière ne dément pas que les enfants ont été « mis à l'abri » en Espagne par des prêtres basques. Elle se contente d'affirmer que des ravisseurs se sont emparés, au couvent de Lazcano, en Espagne, des enfants, le 21 février 1953.

Germaine Ribière ne dément rien de tout cela, dans le récit qu'elle fait de son rôle, notamment à André Weil et à mon père, fin juin 1953, après son retour d'Espagne accompagnant les enfants Finaly à Saint Léonard, dans la maison « la Moussonière » d'André Weil. Elle se contente d'affirmer que des ravisseurs se sont emparés, au couvent de Lazcano, en Espagne, des enfants le 21 février 1953.

Voici le compte-rendu que fit mon père du récit fait dans la maison d'André Weil [2] : Dans le living-room « l'ambassadrice » du Cardinal Gerlier fit un récit très confus du retour des enfants. A l'en croire, ceux-ci avaient échappé à la surveillance [3] de l'église depuis qu'on les avaient enlevés, le 21 février du couvent de Lazcano. Ils étaient passés alors, disait-elle, entre les mains de Basques républicains anti-franquistes. Bien qu'elle ne possédât pas d'indications précises sur le lieu de séjour des enfants, elle savait cependant que ceux-ci étaient cachés chez des républicains hostiles à Franco, à proximité de Saint-Sébastien. Comment eût-elle pu en aviser les autorités espagnoles, alors qu'elle savait que, sous prétexte de rechercher les enfants Finaly, la police du dictateur espagnol aurait organisé une rafle monstre dans les milieux républicains ? De là venaient toutes les difficultés, affirma-t-elle.

Dans son livre « Les deux orphelins » Germain Latour note au contraire [4], sur la base du journal et de déclarations du père Maur Elizondo du couvent de Lazcano, et de discussions avec lui : « le 20 février 1953, côté espagnol, le primat d'Espagne, l'évêque de Saint-Sébastien, ainsi que le gouverneur de Saint-Sébastien savent où se trouvent les enfants, et connaissent l'identité de celui qui gère la situation sur place. Autant dire qu'en Espagne, tout l'appareil d'Etat est parfaitement informé de la situation en temps et en heure, et qu'il la contrôle effectivement. » « celui qui gère la situation sur place » étant précisément Maur Elizondo.

De cela mon père se doute mais ne le saura jamais avec certitude. Par exemple, lors de la propagation de rumeurs concernant la mort d'un des frères, plusieurs protagonistes immédiatement démentent avec beaucoup d'assurance : l'avocat d'un des prêtres basques, l'abbé Laxague, inculpé dans l'enlèvement de Bayonne du 3 février, déclare le 25 mai « j'ai ce matin des nouvelles de Robert et Gérald Finaly.[...] Aucun d'eux n'a été malade [...] Ils ne souffrent que de l'absence de Mlle Brun [5] » Cet avocat dit même en avoir informé le juge d'instruction. Une déclaration du R.P. Chaillet, parue dans Le Monde du 6 juin mentionne « [...] Sitôt après qu'avait couru le bruit de la mort d'un enfant, Mlle Ribière, repart pour l'Espagne et télégraphie le 15 mai : les deux enfants sont bien portants, mais je n'ai pu les voir » Donc, si les mauvaises rumeurs ne sont que des rumeurs, et que les démentis sont fondés, c'est bien qu'il y a des canaux de communications et l'affichage d'un marchandage entre plusieurs factions.

Avril, mai, juin 1953 les communiqués officieux affluent. Par exemple, le 14 mai, Germaine Ribière avait annoncé fermement : « les enfants rentreront au plus tard dans trois semaines ». Le 28 mai 1953, devant témoins, le Père Chaillet fait cette déclaration: « si, dans trois semaines, les enfants ne sont pas revenus, le cardinal Gerlier ouvrira son dossier et dira ce qu'il faut penser de Mlle Brun. »
Ces déclarations firent dire, le 12 juin 1953, dans un communiqué commun à Rabi et à mon père : Toute cette comédie de voleur volé les mains engluées sur son méfait est tout juste digne des fastes du guignol lyonnais [6].

Et peut-être le rôle de Germaine Ribière est-il de négocier le prix du butin que constitue les enfants Finaly ? Ou peut-être prétendre négocier ? Ou peut-être que Germaine Ribière a sincèrement négocié avec des factions manipulées les unes contre les autres par différentes courants de l'église catholique, précisément pour attendre, faire durer, « jusqu'à la décision du Tribunal, au sujet de la tutelle de Mlle Brun » ? [7]

On saura dès le retour des frères Finaly, notamment par un carnet de Robert [8], que les deux frères vécurent en effet non loin de Saint Sébastien, l'un chez un paysan, l'autre chez un curé. Et qu'un curé venait régulièrement instruire Robert en catéchisme, et lui confia ce carnet pour les leçons. On peut y lire distinctement : maintenant je suis à Guetaria depuis un mois et demi vivant sous le nom de Jean Etcheverry et que mon père et ma mère sont en voyage à travers l'Europe et que je suis canadien en attendant que l'histoire se termine.
Interrogé fin juin, peu après son retour, sur la signification de l'expression « que l'histoire se termine » Robert répondit sans hésiter : « Pardi, que le procès se termine »

Ainsi Robert était parfaitement conscient que son sort était lié au procès.

Depuis, après l'ouverture d'archives, d'autres preuves se sont ajoutées pour détruire les fondements du mythe « la Cour de Cassation n'existe pas » et « c'est l'Eglise qui a rendu les enfants ». Parmi les conclusions de son livre, Germain Latour écrit [10] : On a relevé que le grand rabbin datait de cette pénible histoire [l'affaire Finaly] la modification du comportement de l'Eglise à l'égard des juifs. En fait, cette affaire lui a signifié [à l'Eglise] de la manière la plus violente qui soit - l'incarcération de religieuses et de prêtres - qu'elle ne disposait d'aucune légitimité, dans le cadre de la République, pour se déclarer, se placer, et surtout se prétendre au-dessus des lois.

Commentaires personnels

Ni moi, ni mon frère Marc, fils de l'acteur central de l'affaire, ne sommes des témoins de l'affaire. Comme Anne Rabinovitch, nous sommes seulement des témoins de l'impact de cette affaire, sur nos parents ainsi que sur de nombreux sujets connexes.

Nous avons ainsi pu observer que très rarement l'évocation publique de cette affaire a été accompagnée d'une analyse de ce qui s'était passé. En réalité, ce fut seulement 30 ans après la fin de l'affaire, en 1983, en hommage à mon père décédé quelques mois auparavant, qu'eut lieu, à l'initiative du Musée de la Diapora, à Tel Aviv, le premier colloque sur cette affaire - colloque auquel le Grand Rabbin Kaplan refusa de participer.

Ma nichtana haerev haze ? ... (En quoi cette soirée diffère-t-elle des autres soirées ?)

Remuer cette affaire c'est remuer des tas de mensonges et mythes qui s'attaquent à un des fondement de notre société, en France : la laïcité. Il est donc commode de réveiller cette affaire emblématique, d'un registre tout autre que l'affaire Dreyfus, encore que l'antisémitisme soit loin d'en être absent. Ainsi, je qualifierais ceux qui réveillent cette affaire de manipulateurs mytho-maniaques, construisant des mythes, avec lesquels ils s'intoxiquent eux-même, devenant de simples mythomanes.

Clairement, selon moi, le Grand-Rabbin Kaplan et Germaine Ribière furent tous deux des exemples de mytho-maniaques, constructeurs de mythes, qui au fil du temps devinrent de simples mythomanes, intoxiqués par leurs propres mythes.

De tels mythes ont refait surface récemment, notamment dans le télé-film qui a été diffusé sur FR2 en novembre 2008.

Comme beaucoup j'ai une certaine fascination - un mélange de curiosité et de dégoût - pour le mensonge, cette affaire est formidable. Elle présente pour le commun des mortels, quelque chose qui évoque les comédies dramatiques américaines à succès. Non pas le Bien contre le Mal, mais le Mensonge comme drogue.
Ce qui est incarné ici c'est le mensonge dans toutes ses variétés, utilisé sans frein par A. Brun et ses comparses - de petits comparses, puis de fil en aiguille des comparses de plus en plus imposants. Tous ils s'intoxiquent eux-même avec leurs mensonges. Face à eux, il y a ceux qui rêvent d'émancipation. Il y a ce rêve Jeffersonien de la poursuite du bonheur et de la lutte pour la justice sociale. Mais surtout le souvenir non effaçable des infamies récentes, la Shoah, mais aussi, pour mes parents leurs démêlés très amers avec le mouvement communiste. Chacun, pense qu'un mensonge cache un intérêt précis, peu avouable sans doute, et qu'une fois le mensonge éventé, cela s'arrêtera. Or, ce n'est pas du tout ce qui se passe avec cette affaire, et cela fait près de 60 ans que cela dure ! Est-ce donc le goût du Roman Policier qui ranime l'intérêt autour de l'affaire Finaly ?

Parmi les mensonges avec lesquels ceux qui les consomment s'intoxiquent, il y en a un qui est revenu au goût du jour : « l'anti-judaïsme chrétien n'est pas de l'antisémitisme ». Au nom de cet axiome, comment analyser ce que A. Brun déclare à mon père lors de leur toute première rencontre: « Vous les juifs vous n'êtes qu'une bande de lâches. Au moment du danger, vous vous sauviez, battant la campagne, abandonnant vos enfants. Et maintenant vous avez le toupet de les réclamer. Vous pensez que cela va se passer comme cela ? Vous ne me connaissez pas ! »
Certains historiens récents ont le toupet de déclarer « A. Brun, fait preuve, comme tous ceux qui l'entourent d'anti-judaïsme chrétien, mais elle n'est pas antisémite ». Et le professeur Kaspi approuve cette remarque « nuancée » ! Ironie de l'histoire la scène s'est passée au Mémorial de la Shoah, à Paris, le 19 octobre 2008, lors d'une journée consacrée à l'affaire Finaly.

Et pour éviter toute ambiguïté, ces mêmes historiens ont préconisé passer sous silence ces déclarations d'A. Brun, pour ne pas égarer le public. Cette préconisation a été suivie par le télé-film, et aussi par le journal Le Monde daté du 21 novembre 2008 dans une « Enquête » de Nathaniel Herzberg :
En septembre 1948, une autre tante, installée en Israël, mandate Moïse Keller, un entrepreneur grenoblois ami de la famille, pour la représenter. Il contacte directement celle qui vient de se faire nommer tutrice provisoire. Elle réitère son refus [de rendre les enfants], qu'elle accompagne d'une information : "Je les ai fait baptiser catholiques, si ce renseignement peut vous être agréable."

Opposer l'anti-judaïsme chrétien à l'antisémitisme, c'est revenir sur Vatican II et les efforts de Jules Isaac de l'immédiat après-guerre. Ce mensonge, aujourd'hui, nourrit le repli communautaire : que quelque chose de détestable soit si répandu, dans un groupe donné, il deviendrait tolérable ? En effet, une telle tolérance, contribue à consolider un tel groupe : voici un bel exemple de mythe fondateur !

Personne ne prétend que Mlle Brun fut une antisémite « professionnelle ». Mais le racisme et l'antisémitisme sont, pour la plupart des gens, des comportements irrationnels et incontrôlés. Ces mêmes personnes parfois le rationalisent par des attitudes du genre « cela dépasse le seuil de tolérance » pour justifier une réaction raciste violente, ou simplement justifient la menace raciste qu'ils s'apprêtent à proférer par un « mon meilleur ami est juif ». Banaliser les propos de Mlle Brun, c'est tout comme les passer sous silence : on s'y habitue. Socialement, ils deviennent ainsi acceptables, venant de certains groupes sociaux, renforçant la communautarisation de la société dans son ensemble.

Il ne faut pas s'étonner que mon père, loin de se laisser impressionner par la provocation antisémite, se soit au contraire senti mille fois plus déterminé à combattre un tel personnage. C'est sans doute ce qui a déterminé qu'il y ait une affaire Finaly, et qu'il n'a pas baissé les bras. Que dire alors de ceux qui relatent la première rencontre de mon père avec elle en censurant cet aspect?

A noter que le télé-film qui a été diffusé sur FR2 en novembre 2008 exploite ce filon : Mlle Brun, une résistante, et une fieffée anti-judaïque, en est l'héroïne.

On soupçonne que le mythe de l'inviolabilité du baptême catholique peut être profondément enraciné chez certains - le premier rapt a été, dans cette affaire, le baptême des frères Finaly en 1948. Ici nous avons évoqué les mythes suivants :

  • le mythe d'une Mlle Brun non-antisémite
  • un mythe en vigueur, particulièrement dans les année 1990 dans certains milieux juifs religieux : Moïse Keller n'a pas existé
  • un mythe assez étonnant, notamment quand il est propagé par la télévision publique : La cour de Cassation n'existait pas en 1953, ou à peine ...

A noter que le télé-film qui a été diffusé sur FR2 en novembre 2008, mon bouc émissaire ici, véhicule tous ces mythes ! On comprendra donc que, bien que mon père soit dépeint dans ce film de façon très convenable - il a les habits d'un personnage héroïque honnête - je trouve que ce film propose une vision non seulement erronée, mais condamnable de l'affaire Finaly. Pire encore, le mythe communautariste que la loi républicaine peut être contournée, voire ignorée - ce qui constitue dans ce cas un mensonge et une réécriture de l'histoire - a été diffusé comme une vérité indiscutable.

Ma question initiale était : « qui a demandé des nouvelles de l'affaire Finaly? Et pourquoi donc doit-on devoir en consommer ? Et qui veut nous pousser à en consommer ? » Peut-être partagerez-vous mon indignation, concernant ce regain inattendu de focalisation sur cette affaire, de toute façon reléguée maintenant loin derrières les préoccupations urgentes, mais oeuvrant vers des solutions nous éloignant d'une approche républicaine et laïque. Mais n'est-ce pas ce que notre cher Ratzinger favorise ?

Annexe 1 : l'affaire dans cent ans

Dans un de ses carnets de notes mon père a écrit, peu de temps après la fin de l'affaire (au cours de l'été 1953): Considérons l'affaire Finaly, ou plutôt l'affaire Brun avec beaucoup de détachement, sous des perspectives historiques, comme si elle s'était déroulée il y a cent ans. L'affaire apparaitra comme un témoignage d'une société en complète dissolution, aux moeurs pourries.
Le personnage de Mlle Brun sera effacé. Ce sera le personnage type ou personnage représentatif d'une société qui s'est identifiée avec elle.
L'église qui savait d'elle plus de chose encore que moi-même, en avait fait le porte-drapeau.

Il ajoute plus loin :
Plus que jamais, que l'Eglise le veuille ou non, qu'elle l'approuve ou désapprouve, le personnage d'Antoinette Brun reste collé à l'église de cette moitié de siècle; et quand plus tard on étudiera l'influence de l'église catholique en France sur les moeurs de la société, on pensera à Mlle Brun, au baptême forcé d'orphelins juifs de guerre de parents déportés, aux prêtres basques, au rapt d'enfants juifs, à l'appel hypocrite de l'Evêque de Grenoble adressé aux religieux et laïques, aux négociations tortueuses où par un chantage raffiné l'Eglise voulait imposer sa volonté. Voilà comment d'ici cent ans l'affaire Finaly sera jugée.

Je pense qu'il s'est trompé ! Il suffit de voir comment on invoque aujourd'hui le communautarisme au dépend de l'état, et surtout de l'impartialité laïque. Et les mythes que je dénonce ici, sont des mythes plus ou moins récents, tous significatifs de ce glissement « communautariste », dont Gerlier, on peut le dire, fut l'un des premiers visionnaires. Car il y vit le moyen, pour lui et son groupe d'échapper ainsi à des poursuites judiciaires graves. Mais il comprit aussi que c'était là le moyen de valoriser des groupes « innombrables » en réalité non dénombrables, car peut-être fictifs, les communautés qui suivent leurs leaders (choisis par Dieu ?)

Annexe 2 : l'affaire devant la Cour de Cassation

Voici un extrait d'un texte datant de 1993, écrit par Renaud Lambert, fils de David Lambert
Deux affaires sont pendantes devant la Cour de Cassation

  1. Sa Chambre Criminelle doit examiner un « conflit de juges » : le juge d'instruction de Grenoble avait estimé en septembre 1952 que Mlle Brun pouvait être accusée de non-présentation d'enfants, délit passible du Tribunal Correctionnel. Le Tribunal avait relaxé Mlle Brun, le 28 novembre. La Cour d'Appel avait déclaré le 29 janvier 1953, qu'il y avait enlèvement d'enfants, passible de la Cour d'Assises. Comme ces décisions sont contradictoires, la Cour de Cassation doit trancher. Le 23 avril 1953 la Chambre Criminelle entend les plaidoiries. Trois semaines après elle renvoie [le 13 mai] à La Chambre Correctionnelle de la Cour d'Appel de Riom le soin de juger Mlle Brun pour enlèvement d'enfants, sans fraude, ni violence.
  2. L'arrêt le plus attendu est celui qui doit répondre au pourvoi de Mlle Brun contre l'arrêt de la Cour d'Appel de Grenoble du 11 juin 1952, confirmant la tutelle de Mme Rosner. La Chambre Civile, réunie le 23 juin, rend son arrêt le même jour, ce qui est tout à fait exceptionnel, et montre à la fois la simplicité de l'affaire et le sentiment de l'urgence ressenti par la Cour.

Annexe 3 : quelques lapsus presque involontaires

Parmi les mensonges amusants, il y a les lapsus, ces mensonges involontaires. Un exemple, sous la plume de Henri Tincq dans Le Monde du 11 janvier 2005, dans un résumé de l'affaire Finaly : En 1952, une décision de justice ordonne leur restitution, mais les enfants ont fui en Espagne, cachés par des institutions catholiques.
Sous la plume de Tincq, le mot « fuir » évoque bien sûr les fuites rédemptrices, celles que les fuyards poursuivis par leurs ennemis impitoyables pratiquent. Qui donc pourchassait les frères Finaly lors de leur « fuite » en Espagne. Qu'est-ce que ce lapsus traduit de la pensée Tincquienne? Quels intérêts sert-il? Quel est le mobile?
Ce résumé de Tincq complète sans aucun doute la présentation de l'émission du 10 mai 1999 consacrée à Germaine Ribière et l'affaire Finaly sur le site internet de France-Culture. Cette présentation ne mentionne outre Mlle Brun et les enfants Finaly, que Germaine Ribière et ses douze aller-retour pour les ramener d'Espagne. On y lit: « avec l'aide de N-D de Sion Grenoble, de certains prêtres, et le soutien implicite de Rome, Robert et Gérald se retrouvent cachés dans un couvent basque espagnol ». En somme ils ont fui avec l'aide de N-D de Sion etc...

Annexe 4 : exemple de mensonge d'époque, sans âge

Dans de nombreuses familles, l'esprit scientifique, avec son exigence de doute systématique et de rigueur est très valorisé. Mais dans la société, ce qui est valorisé par les puissants, c'est le mensonge, l'arnaque. N'avions-nous pas un président qui claironnait « mes promesses n'engagent que ceux qui y croient »? En 1953 ce n'était pas différent: au plus fort de l'affaire, mon père relate une discussion avec le juge d'instruction de Bayonne, le 10 mars 1953 :
Mgr Terrier, évèque de Bayonne, a déclaré le 14 février, dans sa déposition, que la mère Antonine de Grenoble, (supérieure de N-D de Sion à Grenoble) l'avait mis au courant, dans la soirée du 2 février, des diverses étapes de l'affaire Finaly, alors qu'il m'avait affirmé, le lendemain, le 3 février, en présence du procureur de la république de Bayonne et de mon avoué, qu'il ignorait tout de cette affaire [11].
Manifestement, ici aussi, Mgr Terrier, claironne son mensonge, croyant sans doute en une immunité ecclésiastique.

Annexe 5 : mensonges d'une église décomplexée

La pile de mensonges et contradictions dans lesquels les autorités ecclésiastiques s'engluaient, était résumée alors par Jean Lacroix du journal Le Monde, en mars 1953 ainsi :
comment peut-on violer la légalité de peur que d'autres plus tard en fassent autant ? Comment peut-on livrer des enfants à l'étranger, pour les empêcher de quitter la France, comment peut-on les traîner d'établissements scolaires en établissements scolaires, de villes en villes, de pays en pays, sous de faux noms et avec de fausses cartes d'identités, afin d'éviter que le cour de leurs études soit troublé et leur stabilité psychologique menacée ? [12] On peut en effet apprécier le mensonge à la fois comme sport et comme spectacle. Ici, en mars 1953, la « rançon » a déjà été versée : l'accord du 6 mars, qui garantissait que la famille n'entamerait pas de poursuites, si les enfants étaient rendus rapidement.

Annexe 6 : sorcellerie, drogue & all that

Dans le cas de l'affaire Finaly, il y a une dimension de sorcellerie [13], mentionnée le 13 mars 1953 par Me Maurice Garçon après son entrevue, accompagnant mon père, chez le juge d'instruction à Bayonne. Mon père s'est alors posé la question : Y a-t-il vraiment un si grand écart entre les histoires de sorcellerie et ce procès extraordinaire que nous vivons et dont la toile de fond est constituée par le fait d'un baptême ? La passion et l'acharnement des soeurs de N-D de Sion, des prêtres du pays basque et de toute une légion de théologiens, qui en plein XXème siècle revendiquent le droit de séparer des enfants sans défense de leur famille naturelle à cause d'un baptême illicite ...[14]

[1] Germain Latour : Les deux Orphelins, p. 521, Annexe II.
[2] Moïse Keller : L'affaire Finaly telle que je l'ai vécue pp. 538-539.
[3] Les enfants ont échappé à la surveillance ... comme dans une cour d'école; à comparer avec la fuite des enfants selon Tincq
[4] Germain Latour : Les deux Orphelins, p. 277.
[5] Moïse Keller : L'affaire Finaly telle que je l'ai vécue, p. 490.
[6] Moïse Keller : L'affaire Finaly telle que je l'ai vécue, p. 516.
[7] Car que fait Germaine Ribière? Négocier le prix du butin que constitue les frères Finaly ? Auprès de qui ? Les prêtres basques français ? Espagnols ? Franco ? Pour certains de ces basques le conflit est un conflit politique plutôt que confessionnel. Pour Franco aussi. Ces basques voudraient y gagner quelques miettes d'autonomie vis à vis de Franco, mais aussi, empêcher le départ des frères Finaly vers Israël. C'est sans doute ce rôle que joue Germaine Ribière : négocier avec ces intervenants nouveaux (imprévus) une contre-partie ne figurant pas dans les accords du 6 mars 1953. Mais ces basques ne sont pas idiots. Et le butin perd toute valeur après la décision de la cour de cassation, dont chacun s'attend, surtout depuis la mi-mai - date de la décision de cette cour que la non-présentation d'enfant de juillet 52 était bien un cas d'enlèvement - à ce qu'elle confirme la tutelle définitive de Mme Rosner ainsi que les charges de crime d'enlèvement d'enfant contre A. Brun et ses complices.
[8] Moïse Keller : L'affaire Finaly telle que je l'ai vécue p. 368, la photocopie d'une des pages du carnet.
[9]Il y a d'autres témoignages cités dans le livre de mon père pp 548-550 que ce qui a déterminé le retour des frères Finaly deux jours après la décision de la Cour de Cassation, fut bien cette décision.
[10] Germain Latour : Les deux Orphelins, p. 500.
[11] Moïse Keller : L'affaire Finaly telle que je l'ai vécue, p. 411.
[12] Moïse Keller : L'affaire Finaly telle que je l'ai vécue, p. 435.
[13] Le caractère drogue du Mensonge n'est évidemment pas très éloigné de cette sorcellerie.
[14] Moïse Keller : L'affaire Finaly telle que je l'ai vécue, p. 413.

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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !