Amertume et confusions au dîner du CRIF

Caroline Fourest, dans Le Monde du samedi 7 mars 2009

Cette année encore, lors de son dîner annuel, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) était très remonté. Sa colère a une histoire. Avant même le 11 septembre, le climat de la deuxième intifada a marqué le début d'une remontée impressionnante des actes et injures antisémites dans ce pays. Embarrassés par le contexte au Proche-Orient, les politiques, les militants associatifs et même les journalistes n'ont pas immédiatement réagi. Pendant des mois, très peu d'organes de presse - hormis la presse communautaire juive - s'en sont seulement inquiétés. Comme toujours dans ces cas-là, le sentiment d'isolement a nourri le repli communautaire. Et parfois des peurs irraisonnées.

Par la suite, les politiques ont couru après ce retard à l'allumage. Au risque d'en faire trop, comme lors de l'agression imaginaire du RER D, à l'été 2004. Les vrais antisémites ne manquent pas de l'exploiter sur le mode du  « deux poids, deux mesures  ». Pourtant, les chiffres sont là. Les agressions et les insultes antisémites se maintiennent à un niveau anormalement élevé. Nicolas Sarkosy a tenu à faire un crochet par le dîner du CRIF pour le marteler :  « Quand on s'en prend à un juif parce qu'il est juif, c'est toute la France qui doit se sentir solidaire  ». Avant d'ajouter :  « Je dirais la même chose s'agissant de l'islamophobie  ». Cette équivalence démontre une confusion persistante.

Le président de la République ne peut ignorer le débat qui existe autour du mot  « islamophobie  », utilisé par les intégristes pour confondre la critique de la religion avec une forme de racisme envers les musulmans. Quel est l'effet subliminal ? C'est de laisser penser que les musulmans de France, tout comme les juifs de France, sont attaqués en tant que religieux. Comme si les incendiaires de synagogues ou de mosquées étaient des laïcs enragés... Et non des racistes. Pour lever toute ambiguïté, il vaudrait donc mieux parler de racisme anti-musulmans et de racisme anti-juifs, également condamnables. Puisque c'est l'intention raciste qui compte, et non la catégorie prise pour cible.

Sans détour

Mais la palme de la confusion revient, comme il se doit, à Jean-Marie Le Pen, pour qui l'augmentation de l'antisémitisme est liée à celle de l'immigration. Une subtilité qui lui permet de dénoncer la phobie envers l'autre de façon xénophobe... Il fallait y penser. Peut-être son ami Dieudonné pourrait-il lui rappeler qu'il est parfaitement français ?

Le président du CRIF n'ajoute-t-il pas à la confusion ambiante en dénonçant, comme son prédécesseur, une dérive  «  rouge-vert-brun  » ? Cette dérive existe. Elle doit être dénoncée. Mais pas au point d'amalgamer l'ensemble des partis de gauche ou même l'extrême gauche avec ces tentations obscurantistes. Ce que laisse entendre le CRIF lorsqu'il refuse de recevoir les représentants du Parti communiste ou des Verts à son dîner annuel.

Ces partis n'ont sans doute pas assez dénoncé les dérapages, graves, observés lors des manifestations de soutien aux victimes de Gaza. Le Parti communiste, les Verts et le Parti de gauche ont signé un texte contre l'instrumentalisation communautaire du conflit, où ils ont dénoncé les actes contre les synagogues. Mais leurs positions resteront illisibles tant que les humanistes n'organiseront pas des manifestations de soutien aux Palestiniens séparées des cortèges islamistes et des antisémites, comme ce fut le cas à Strasbourg. Il en va de la clarté de ce combat. Voilà ce qu'aurait pu leur dire le président du CRIF, au lieu de les boycotter.

A force de mélanger ses casquettes, celle de la lutte contre l'antisémitisme, et celle qu'il utilise pour organiser des manifestations de soutien inconditionnel à la politique d'Israël, le CRIF porte lui aussi une part de responsabilité dans cette confusion ambiante. Elle ne justifie en rien le racisme de ceux qui pensent pouvoir venger les Palestiniens en prenant des juifs français pour cibles. Mais elle n'aide pas à y résister.


Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !