Evocation de la révolte du ghetto de Varsovie, hommage à Avrom Sutzkever

Jeudi 20 mai 2010 à 20 heures à l'auditorium du Musée, place Lavalette, Grenoble (tram B arrêt Notre Dame - Musée, parking du Musée)

Entrée libre. Participation aux frais à la discrétion de chacun

Ecouter des extraits de cette évocation

Introduction

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Sous tes étoiles blanches

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La révolte du ghetto de Varsovie

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Mir Leben eybik

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Cette évocation a consisté en un harmonieux assemblage de

  • présentations et de lectures poétiques en yiddish et en français, élaborées parL'Atelier de Yiddish de Grenoble
  • et de chants, chansons et intermèdes instrumentaux, interprétés par

    Michel Michel Borzykowski, (saxophone et voix) et
    Pier-YvesPier-Yves Têtu (accordéon)

Né le 15 juillet 1913 à Smorgon (Lituanie), dans l'empire tsariste, Avrom Sutzkever ne vivra que très peu de temps dans ce gros bourg industriel situé au sud-ouest de Vilnius. Pendant la première guerre mondiale, la ville change de mains à plusieurs reprises, tantôt sous domination russe, tantôt sous contrôle allemand.

De nombreux pogroms obligent sa population juive à fuir. Avrom Sutzkever est ainsi évacué avec sa famille à Omsk, en Sibérie, où il passe son enfance jusqu'à l'âge de 8 ans. Glaces, neiges infinies, toute cette blancheur lui inspirera plus tard un long et lumineux poème, Sibir (Sibérie), publié à Jérusalem en 1953 avec des dessins de Marc Chagall. Ce contact précoce avec une nature étincelante irriguera toute son oeuvre comme une source inépuisable d'inspiration métaphorique.

A la mort de son père, en 1921, sa mère s'installe à Vilnius. Dès lors, et en dépit de quelques allers-retours avec Varsovie où le Pen-Club yiddish publie son premier recueil, Lider (poèmes), en 1937, la vie de Sutzkever et son oeuvre seront étroitement liées à cette ville. La "Jérusalem de Lituanie" est à l'époque l'un des centres culturels les plus actifs du monde juif. Les débuts poétiques d'Avrom Sutzkever, membre du groupe d'artistes et d'écrivains yiddish Yung Vilne ("Jeune Vilno"), y coïncident d'ailleurs avec l'éclosion du modernisme dans les lettres yiddish.

Avrom Sutzkever veut
"Rassembler dans la besace du vent
La beauté pourpre
La rapporter à la maison pour le festin".
Il est aussi très intéressé par l'expérience psychique du moi, les associations d'idées, la fusion entre souffrance et jouissance. Bref, dès cette époque, note l'écrivain Rachel Ertel dans sa passionnante introduction à Où gîtent les étoiles, l'un des rares volumes de vers et de prose traduits en français (Seuil, 1988, traduit du yiddish par Charles Dobzynski, Rachel Ertel et le collectif de traducteurs de l'université Paris-VII), "toutes les prémisses de son oeuvre sont là : le culte païen des sens et du beau, la communion panthéiste avec la nature, la subtilité musicale".

La guerre vient bouleverser ces recherches. En 1941, les armées du Reich entrent dans Vilnius ; la chasse aux juifs commence. Avrom Sutzkever, qui a alors 28 ans, déploie des trésors d'ingéniosité pour échapper aux rafles. Une nuit entière, il se cache dans un cercueil :
"Etendu dans une bière
Comme en un habit de bois
Etendu
Disons que c'est un vaisseau
Sur les vagues de l'orage
Disons que c'est un berceau."

Bientôt, le voilà parqué dans le ghetto. Là, avec une poignée d'intellectuels juifs, il fait partie des "brigades du papier", qui, sur ordre des nazis, doivent trier les ouvrages issus des exceptionnelles collections de la bibliothèque du Yivo (l'institut scientifique juif). Une grande part est vouée à la destruction, le reste doit être expédié en Allemagne en vue de la création future d'un "Musée de la race disparue".

Avec ses camarades des brigades, Avrom Sutzkever réussit à sauver et à cacher certains documents. Fait plus incroyable encore, il trouve la force de continuer à écrire.

Cette période lui inspire même de nombreux poèmes dont le célèbre Unter dayne vayse shtern ("Sous tes étoiles blanches"), adapté et interprété en yiddish par nombre de chanteurs. Autres thèmes : la mort - celle de sa mère et de son fils nouveau-né, entre autres -, la résistance culturelle et la lutte armée. Dans Di blayene platn fun der Rom-drukeray ("Les plaques de plomb de l'imprimerie Rom"), il raconte par exemple comment les partisans fondirent le métal destiné à former des mots pour couler des balles. Dans Vilner ghetto 1941-1944 (Ghetto de Vilno 1941-1944, publié en français en 1950 par l'Association des Vilnois en France), Sutzkever consigne méticuleusement toute cette vie du ghetto. "D'une très grande qualité littéraire, ce texte constitue un témoignage capital sur la prise au piège des juifs dans les ghettos de Pologne et de Lituanie", souligne l'écrivain Gilles Rozier.

En 1943, Avrom Sutzkever s'échappe du ghetto par les égouts et rejoint un groupe de partisans juifs sous commandement soviétique. En 1944, un avion militaire le conduit à Moscou, où l'écrivain Ilya Ehrenbourg le salue comme "un héros de tragédie grecque". Boris Pasternak traduit ses vers. Avrom Sutzkever participe aussi aux travaux de la commission qui prépare la publication du Livre noir édité par Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman (Actes Sud, 1995). Cité comme témoin au procès de Nuremberg, il demande à s'exprimer en yiddish, la langue des victimes, mais cela lui est refusé. Il parle en russe, "debout, comme s'il avait été question de réciter le kaddish pour les disparus". L'essentiel de sa déposition est repris dans "Mon témoignage au procès de Nuremberg" (revue Europe, n° 796-797, août-septembre 1995) .

Après Moscou, Avrom Sutzkever séjourne quelques mois à Paris puis s'installe en Palestine en 1947. Là, il devient la figure centrale d'un groupe d'écrivains yiddish connu sous le nom de Yung Yisroel ("Jeune Israël").

"Donner la vie aux morts"

Entre 1953 et 1954, il signe notamment le superbe Aquarium vert. Sa poésie a changé, insensiblement. "Là-bas (en Europe), je voulais par mon chant donner vie aux vivants, écrit-il. Maintenant, je veux donner vie aux morts." Aux morts qui, comme le souligne Rachel Ertel, "ne cessent de clamer, de réclamer une réincarnation, et de peupler ses poèmes".

C'est aussi en Israël qu'Avrom Sutzkever fonde, en 1949, la revue littéraire yiddish Di Goldene Keyt ("La Chaîne d'or"). Le nom, métaphore de la transmission, est emprunté à une pièce de l'écrivain yiddish Yitskhok-Leybush Peretz. D'une haute tenue littéraire, Die Goldene Keyt est diffusée dans le monde entier, et permet à plusieurs générations d'écrivains yiddish, ceux de l'âge d'or de l'entre-deux-guerres qui sont encore vivants dans les années 1950-1960, mais aussi des auteurs d'une nouvelle génération de l'après-guerre, de faire connaître leurs oeuvres. La revue accueille quelques poèmes en yiddish de Marc Chagall.

Au total, Avrom Sutzkever éditera 141 numéros de Die Goldene Keyt, jusqu'à ce qu'il décide d'arrêter la revue en 1995. C'est à peu près à cette date que le poète cesse définitivement d'écrire. Son dernier recueil, Tsevaklte vent ("Murs vacillants") est paru à Tel-Aviv en 1996. On peut en lire quelques extraits en français dans l'ouvrage La Culture yiddish aujourd'hui (éd. Bibliothèque Medem, 2004). Et notamment ce poème intitulé Pain et sel (Broyt un zalts) dans une traduction de Batia Baum :
"Le soleil est à tout le monde, mais plus qu'à tous
Il est mien.
Les racines des ténèbres,
Je n'en ai nul besoin.
Je suis un enfant du soleil.
Je suis la vie même,
Et la trace d'un renard argenté sur la neige
Est ma mémoire."

Avec Peretz Markich, Melech Ravitch, Moyshe-Leyb Halpern, Jacob Glatstein, Aron Zeitlin, qui fut l'ami d'Isaac Bashevis Singer, et d'autres encore, Avrom Sutzkever fut l'un des grands poètes de la Yiddishkeit. Et, parmi eux, le dernier témoin d'un monde englouti.

Florence Noiville, Le Monde, 28 janvier 2010

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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !