La pente, par Elie Barnavi

Cahiers Bernard Lazare, n° 337, avril 2012

Barnavi

Elie BARNAVI est un ancien ambassadeur d'Israël en France

Le nouveau projet de loi adopté en janvier par la Knesset a de quoi susciter les plus vives inquiétudes. Son but : l'emprisonnement sans jugement et pendant trois ans de tout immigrant illégal arrêté sur le territoire israélien. De quoi ternir une nouvelle fois l'image déjà très écornée du pays.

Vous pensiez peut-être que l'Etat d'Israël, né de la pire abomination qui advînt jamais sur terre et créé par et pour des réfugiés, se devait de manifester quelque humanité à l'égard d'autres réfugiés, chassés de chez eux par d'autres misères, qui frapperaient à sa porte. Bien sûr, vous étiez bien conscients qu'Israël, pas plus qu'aucun autre pays développé, ne pouvait se permettre d'accueillir « toute la misère du monde », qu'il se devait d'avoir, comme tout pays développé, une politique d'immigration, et que cette dernière était bien obligée de passer par des lois plus ou moins restrictives. Cependant, vous n'imaginiez peut-être pas que la politique d'immigration de l'Etat « juif » le mettrait à part dans la communauté des nations civilisées, et pas par excès de compassion, mais, au contraire, par un étrange zèle répressif.

Le lundi 11 janvier 2012, la Knesset a adopté en troisième lecture un projet de loi draconien qui prévoit l'emprisonnement sans jugement durant trois ans, voire plus dans certaines circonstances, de tout immigrant illégal, qu'il soit demandeur d'asile ou simplement d'un emploi qui lui permette de nourrir sa famille. Inutile de prouver quelque intention criminelle, que l'immigrant ne nourrit pas et que le législateur ne prétend pas qu'il nourrit. Tout innocent qu'il soit, et reconnu comme tel, le simple fait qu'il a tenté de forcer les portes de la Terre qui ne lui a pas été promise lui vaut ordre de déportation immédiat, suivi d'incarcération automatique. A cet effet, le gouvernement fait construire dans le Néguev le plus grand camp d'internement au monde, avec une capacité de 50.000 détenus.

Ce monstre législatif est un amendement à une loi de 1954 réprimant les réfugiés palestiniens qui tentaient de s'infiltrer en Israël depuis les pays voisins, certains pour récupérer des biens laissés derrière eux lors de la guerre d'indépendance, d'autres, les fedayins, pour se livrer à des actes de terrorisme. Dans les circonstances qui prévalaient à l'époque, cela pouvait sinon se justifier, du moins se comprendre; il s'agissait après tout d'ennemis déclarés. Aujourd'hui, il s'agit d'Africains en quête d'un havre de sécurité et d'une maigre pitance; et c'est proprement scandaleux.

Maigre espoir

Que cette loi, qui fait de tout infiltré un criminel, manifestement viole la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies de 1951, tout comme la Loi fondamentale israélienne sur la dignité humaine et la liberté de 1992, voilà qui n'a pas gêné outre mesure la poignée de législateurs qui l'ont votée.(Il a suffi de trente-sept contre huit, les autres n'ayant pas cru nécessaire d'honorer l'hémicycle de leur présence).

Y a-t-il une chance pour que la Haute Cour de Justice déclare ce texte inconstitutionnel et enlève ainsi une verrue particulièrement abjecte du visage déjà passablement défiguré de la « seule démocratie du Proche-Orient» ?

Oui, il y a une chance, encore que cette estimable institution, cible constante de la droite parlementaire et extra-parlementaire ait désormais du plomb dans l'aile. La preuve ? Deux jours après le vote de la loi en question, la Haute Cour, à une maigre majorité de six contre cinq, a rejeté un appel contre la constitutionnalité d'un amendement à la Loi sur la citoyenneté qui empêche des Palestiniens des Territoires de vivre en Israël avec leurs conjoints citoyens israéliens.

Simple directive gouvernementale adoptée en mai 2002, en pleine Intifada, afin d'empêcher des aspirants terroristes d'exploiter leur statut de résidents, renouvelée plusieurs fois depuis, la voici définitivement rendue casher par l'instance même qui est censée défendre les droits de l'individu face à l'arbitraire du pouvoir. Sa signification est sinistre : pour une catégorie de citoyens israéliens, vivre dans leur pays avec le conjoint de leur choix est une option abandonnée à la discrétion des fonctionnaires du ministère de l'intérieur.

L'opinion de la majorité des magistrats a été éloquemment résumée par le juge Asher Grunis : « Les droits de l'Homme ne sont pas une recette de suicide national ». Ashcr Grunis sera le prochain président de la Cour suprême.•

P.S. Tel-Aviv vient d'être désignée Ville de l'Année 2011 par GayCities.com. Par ailleurs, Noam Shalit, le père de Gilad, vient de faire son entrée en politique sous les couleurs travaillistes. Yaïr Lapid, notre Ruquier national, aussi, sous les couleurs ... de quoi au fait ? Les siennes, en tout cas. Comme on voit, il y a aussi de bonnes nouvelles.

@REGARDS - Bruxelles

Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !