Shlomo Ben Ami :
Guerre au Hezbollah, paix avec le Hamas

Le Monde, 11 août 2006

Que l'opération israélienne à Gaza et la riposte massive de Tsahal à un acte de guerre caractérisé de la part du Hezbollah, bras armé de l'Iran au Liban, atteignent ou non leurs objectifs, une chose en tout cas est claire : la guerre qu'Israël mène actuellement sur deux fronts simultanés a porté un coup mortel au "plan de convergence" pour la Cisjordanie, qui était précisément la raison d'être du gouvernement de M. Olmert et de son parti, Kadima.
Trois mois après sa constitution, le gouvernement israélien est déjà privé de projet politique. Et paradoxalement, il n'y a que le Hamas qui puisse lui éviter de sombrer dans une agonie politique sans perspective.

Un désengagement et un démantèlement massif des colonies de Cisjordanie, d'où 80 000 colons doivent être évacués, constituent une tâche bien plus délicate que le retrait unilatéral de Gaza, opéré par Ariel Sharon, qui ne concernait que 8 000 colons. Or à Gaza, territoire d'un seul tenant dont la frontière avec Israël n'a jamais été remise en question, le désengagement a entraîné un état de guerre tel qu'Israël a dû à nouveau envahir les territoires qu'il avait abandonnés il y a moins d'un an. Quelles seraient alors les chances de succès d'une opération similaire en Cisjordanie ?

L'opération "Pluie d'été" à Gaza a révélé de manière spectaculaire l'erreur que constitue la stratégie israélienne de désengagement unilatéral des territoires palestiniens, et les premiers à s'en rendre compte sont les Israéliens eux-mêmes. Les tristes leçons du retrait de Gaza signifient que la perspective de voir des missiles Kassam tirés depuis une nouvelle ligne de front en Cisjordanie sur les grands centres urbains israéliens situés autour de Tel-Aviv, y compris sur l'aéroport international Ben Gourion, ne peut plus être considérée comme un scénario impossible.

En conséquence, si M. Olmert tient à sauver son "plan de convergence", il devra le faire en partenariat avec une partie palestinienne qui ne sera autre que le gouvernement du Hamas de M. Ismaël Haniyeh. Ce qui signifie utiliser la guerre en cours à Gaza comme une occasion de parvenir avec le Hamas à un accord qui aille bien au-delà de la restitution du soldat enlevé. D'ailleurs, 45 % des Israéliens se disent à présent favorables à des négociations directes avec le Hamas.

Ce que l'OLP, toujours obsédée par l'objectif final qu'elle s'est fixé, refuse de prendre en considération - à savoir un accord provisoire (l'OLP a rejeté les clauses de la feuille de route évoquant un Etat palestinien dans des frontières temporaires) -, le Hamas serait sans doute tout prêt aujourd'hui à l'étudier. Mais pour qu'un accord avec le Hamas soit plus durable qu'un accord avec l'OLP, le Hamas doit redevenir ce qu'il a toujours été : une organisation hiérarchisée et disciplinée, capable de respecter un cessez-le-feu

Un tel accord de partenariat serait de l'intérêt d'Israël, il bénéficierait ainsi d'une frontière certes temporaire mais stable en Cisjordanie, et satisferait pleinement le Hamas. Il mettrait un terme à l'ostracisme international auquel ce dernier est condamné et lui permettrait de concilier son rejet idéologique d'Israël avec ce qui constituerait un pas majeur vers la "fin de l'occupation". Il se ménagerait également une marge de manoeuvre suffisante pour appliquer son programme intérieur qui, après tout, constitue la raison principale pour laquelle les Palestiniens l'ont élu.

Le Hezbollah représente un défi d'une tout autre nature. Israël n'a aucune dispute territoriale avec le Liban et l'organisation chiite n'est pas un mouvement national menant une lutte légitime contre "l'occupation". Il constitue plutôt un outil dans la stratégie iranienne et syrienne de déstabilisation régionale. Et, dans cette affaire, c'est la crédibilité de la communauté internationale qui est en jeu puisque c'est sous son égide qu'a été négocié et officialisé le retrait israélien du Liban en mai 2000.

La guerre sur deux fronts qu'Israël livre aujourd'hui traduit la faillite de la philosophie de la droite israélienne, qui est aussi celle des néoconservateurs qui entourent le président Bush, selon laquelle un règlement global avec le monde arabe et la mise au pas des "Etats voyous" de la région devraient précéder et être la condition indispensable d'une paix israélo-palestinienne.

Or, ce à quoi nous assistons actuellement est la justification éclatante de la stratégie politique de "la Palestine d'abord" qu'ont suivie deux gouvernements travaillistes, celui d'Itzhak Rabin et celui d'Ehoud Barak. Ils avaient la conviction qu'il existait une étroite "fenêtre d'opportunité" permettant de parvenir à une paix avec les Palestiniens avant que l'Iran ne se dote de l'arme nucléaire et que le fondamentalisme islamique ne devienne une menace mortelle pour les régimes arabes modérés.

Il est aujourd'hui de l'intérêt vital d'Israël, et également de celui des régimes arabes modérés, que la guerre à la frontière nord ne dégénère pas en une déflagration régionale. A la différence du cas palestinien, la solution au problème libanais est déjà prête : il y a six ans, Israël a quitté le Liban et s'est replié le long de la frontière internationale en application de la résolution 425 du Conseil de sécurité de l'ONU.

Simultanément, la résolution 1559 demandait au Liban de démanteler le Hezbollah et de déployer son armée dans le Sud. Il s'agissait de mettre fin à l'absurde et dangereuse anomalie consistant à laisser une milice, aux ordres de l'Iran et de la Syrie, contrôler la frontière libano-israélienne. Faute de quoi, on confiait au Hezbollah la clé de la stabilité de l'ensemble du Moyen-Orient.

Il est triste et regrettable que la population civile ait à souffrir de l'actuelle tragédie, et il est évident que la riposte d'Israël a été d'une ampleur inutile. Mais les motivations d'Israël sont justes, car cette guerre n'est pas une guerre d'occupation ni une guerre de colonisation. C'est une guerre menée pour affirmer la validité d'une frontière internationalement reconnue, établie en étroite collaboration avec les Nations unies.

C'est pourquoi ceux qui, dans la communauté internationale, pressent depuis des années Israël de se retirer des territoires palestiniens occupés pour se redéployer sur des frontières internationalement reconnues doivent appuyer ce qui est juste dans les raisons invoquées par Israël pour déclencher cette guerre. Ne pas le faire reviendrait à annihiler toute perspective de mettre un terme à l'occupation qui pose le plus de problèmes, celle des territoires palestiniens. Cela reviendrait par ailleurs à porter un coup fatal aux forces politiques qui, en Israël, se battent justement depuis des années pour la constitution d'un Etat palestinien aux frontières internationalement reconnues.

Shlomo Ben Ami

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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !