Imre Kertesz, prix Nobel de littérature 2002

L'association France-Hongrie Dauphiné a organisé une rencontre littéraire avec le traducteur officiel de Imre Kertesz, prix Nobel de littérature 2002, le lundi 6 Mars 2006 à 20 h à la Maison des Associations, 6, rue Berthe de Boissieux à Grenoble.

Grâce à l'aimable autorisation du conférencier
et de l'Association France Hongrie Dauphiné
vous trouverez ci-après les notes du conférencier.

Natalia & Charles Zaremba

Présentation de l'oeuvre de Imre Kertész

L'oeuvre d'Imre Kertész est globalement autobiographique, mais ses différents ouvrages ne sont pas des récits de témoignage, comme par ex. certains textes de Primo Levi ou de Jorge Semprun. Il s'agit de constructions littéraires, certes fondées sur des faits réels, mais présentant une vision totalement subjective exprimée d'une manière artistique, chacun de ses ouvrages étant le fruit d'une recherche stylistique originale. Bien qu'inspirés par des personnes réelles, en particulier lui-même, les personnages sont des constructions littéraires ; plusieurs d'entre eux sont des alter ego de l'auteur qui portent des noms qui rappellent tous plus ou moins la pierre, peut-être justement celle des carrières du camp de concentration de Buchenwald où il a été déporté en 1944 : en premier György Köves, personnage récurrent, mais aussi Berg, qui dans le dernier roman de l'auteur est désigné simplement par son initiale, et encore Sziklai ou des personnages simplement mentionnés, comme Stone ou Sassone. Le narrateur du Kaddish est justement Köves, celui dont le premier roman de Kertész nous raconte la déportation au camp de concentration de Buchenwald

Eléments biographiques

Imre Kertész est né en 1929 à Budapest dans ce qu'il est convenu d'appeler une famille de la petite bourgeoisie juive assimilée, c'est-à-dire dont le seul signe distinctif est de ne pas être chrétienne mais qui parle le hongrois, ainsi d'ailleurs que l'allemand (l'empire d'Autriche-Hongrie n'a été démantelé qu'en 1918 et la culture allemande est un objet d'admiration), une famille qui ne pratique plus guère la religion juive, ne parle pas le yiddish, ne mange pas kasher, les hommes ne portent pas la kippa, les femmes ne se rasent pas la tête...

Imre, qui est un garçon très ordinaire, fait la découverte douloureuse de sa judéité à l'occasion de la guerre : le port de l'étoile jaune, les lois d'exception, la confiscation du commerce de son père et le départ de ce dernier au « service du travail », puis lui-même doit quitter le lycée et travailler dans une usine de « l'industrie de l'armement ». Bientôt son arrestation et sa déportation lui prouvent qu'il n'est pas un Hongrois comme les autres, ou plutôt que le monde peut basculer en très peu de temps : d'un coup ses compatriotes hongrois le considèrent comme un étranger, l'arrêtent et le livrent aux Allemands tant admirés qui mettent leur esprit d'organisation au service de sa destruction. Agé d'une quinzaine d'années, il passe quelques mois en camp de concentration entre juillet 1944 et mars 1945 : quelques jours à Auschwitz, puis à Buchenwald et dans le camp de travail satellite de Zeitz. Comme il est robuste, il échappe à la chambre à gaz.

L'expérience des camps est pour lui essentielle. Elle détermine toute sa vie. Mais à cette expérience brève et brutale vient se superposer une autre, plus insidieuse parce que plus longue, moins brutale, celle du stalinisme qu'il connaît à son retour à Budapest, puis la dictature plus feutrée qui a suivi l'insurrection de 1956. Nazisme, stalinisme : il est passé d'un totalitarisme à un autre. Après avoir exercé divers métiers, il se met à écrire des livrets d'opérette dont le succès lui permet de vivre et d'entamer sa véritable oeuvre littéraire qui ne donnera son premier fruit qu'en 1975 : il lui aura fallu plus de dix ans pour écrire le récit de sa déportation. Ensuite, c'est comme s'il avait rompu un tabou et plusieurs romans voient le jour.

Ses textes ne sont pas censurés à proprement parler, mais ils sont mal distribués et ne sont guère connus que dans le cercle étroit des intellectuels et universitaires qui saluent son style très particulier et l'originalité de sa démarche qui fait de l'oeuvre littéraire le plus irréfutable des témoignages. Sa « carrière » internationale commence avec la découverte de son oeuvre en Allemagne, puis en France, au milieu des années 1990. Nul n'étant prophète en son pays, c'est à l'étranger qu'il devient un écrivain connu et reconnu. Après avoir obtenu en 2002 le prix Nobel de littérature, il s'installe à Berlin où il vit actuellement.

Eléments bibliographiques

Kertész écrit relativement peu (moins de dix romans en 40 ans). Texte fondateur : Etre sans destin (publié en 1975). Les textes de Kertész sont reliés par des liens thématiques et/ou formels qui donnent à l'oeuvre une grande unité, au point que les éditeurs parlent fois d'une trilogie formée de Etre sans destin, du Refus et de Kaddish... Mais c'est là une vue de l'esprit ou un subterfuge commercial, car en fait, toute l'oeuvre est très homogène du point de vue thématique,l'homme face à la tyrannie, mais assez diversifiée stylistiquement, avec toutefois un certain penchant pour l'expérimentation littéraire, les phrases longues et complexes.

Le ferment de son oeuvre littéraire assez tardive (il a publié son premier roman à l'âge de 46 ans) est constitué avant l'âge de 20 ans, très précisément durant les quelques mois qui ont séparé sa déportation en camp de concentration et son retour à Budapest. Toute la difficulté consistait alors à donner à cette expérience une forme littéraire : il ne s'agit pas d'un simple témoignage, c'est-à-dire de la relation d'une expérience sans doute originale mais transmissible, intelligible et compréhensible à l'aide des moyens linguistiques et narratifs habituels, mais d'un témoignage total qui invite le lecteur à une empathie totale avec le narrateur, et non à la sympathie si proche de la pitié, d'où l'impression de distance qu'on peut éprouver à la lecture de certains passages, simplement parce qu'à la lecture, on revit l'aliénation du narrateur ou du personnage, sa progression à tâtons dans la réalité nouvelle et sa rupture avec le monde ancien.

Etre sans destin est une relation linéaire et volontairement naïve. Le lecteur découvre les événements et les choses en même temps que le narrateur qui garde tout au long du texte une tonalité froide et se garde de porter un quelconque jugement sur ce qu'il voit. Cette atonalité volontaire marque une acceptation sans réserve de toute nouvelle réalité. L'écriture ne cherche à éveiller aucune émotion et si celle-ci naît quand même, c'est parce que les faits relatés sont connus du lecteur. La linéarité de l'écriture rend compte de la progression inexorable des événements, ce que le narrateur définit à la fin du roman comme le pas à pas : la succession des petites concessions, des petites lâchetés ou simplement des atermoiements dont l'accumulation apparaît a posteriori comme une tragédie. Kertész veille avant tout à ne pas plaquer un discours convenu sur une réalité nouvelle, une terra incognita conceptuelle autant que linguistique car ses personnages ne disposent pas encore des connaissances historiques des lecteurs. Il a donc dû inventer une nouvelle grammaire du témoignage, et il est conscient de l'effort à fournir et du risque d'échec. Au lendemain de la guerre, il n'était pas encore prêt à décrire son expérience, parce qu'il n'en possédait pas encore les moyens conceptuels qui lui restaient à forger et dont l'élaboration lui demandera de longues années. La verbalisation d'une réalité nouvelle ne peut se faire à l'aide des moyens habituels : Etre sans destin (p. 340-341)

[...] "Ne voudrais-tu pas, mon garçon, raconter ce que tu as vécu ?" J'étais un peu étonné et j'ai répondu que je n'aurais pas grand-chose d'intéressant à lui dire. Alors il a souri un peu et a dit : "Pas à moi : au monde entier. "Sur quoi, encore plus étonné, je lui demande : "Mais raconter quoi ?" "L'enfer des camps", répond-il, sur quoi je dis que je ne pourrais absolument rien en dire, puisque je ne connais pas l'enfer et serais même incapable de me l'imaginer. Il a déclaré que ce n'était qu'une comparaison : "Ne faut-il pas, a-t-il demandé, nous imaginer un camp de concentration comme un enfer ?" et j'ai répondu, en traçant du talon quelques ronds dans la poussière, que chacun pouvait se le représenter comme bon lui semblait, et qu'en revanche pour ma part je pouvais en tout cas m'imaginer un camp de concentration, puisque j'en avais une certaine connaissance, mais l'enfer, non. »

Le style de Etre sans destin est délibérément maladroit, « anti-littéraire » en quelque sorte, de manière à rendre compte de la lente maturation de la pensée d'un adolescent de quinze ans. Ce travail sur la langue n'a pas été compris par l'éditeur hongrois qui avait refusé de publier le roman. Voici comment cet épisode est relaté dans le Refus, (p. 119) :
« Finalement, au bout de dix ans, le roman fut achevé ; pendant ce temps, Köves s'était retiré du monde. Comme l'écriture de son roman ne lui permettait plus d'amuser les gens, les revenus occasionnels qu'il tirait de l'industrie du spectacle baissèrent dangereusement ; sa femme fut obligée de se sacrifier et de prendre un emploi et il souffrait de la voir se résigner à un sort auquel elle ne pouvait rien changer ; quant à lui, enfermé alors dans sa chambre, très précisément dans l'unique pièce de leur appartement, perdu dans le monde des signes abstraits, il ne savait pour ainsi dire plus comment l'on vivait à l'extérieur. Il dépensa ses dernières économies à faire taper son manuscrit par une dactylo de première classe connue dans la profession et à le faire relier sous une couverture glacée, mais l'éditeur le lui renvoya purement et simplement. "De l'avis unanime de nos lecteurs, nous ne pouvons pas envisager la publication de votre roman" ; "Nous pensons que l'expression littéraire n'est pas réussie, bien que le sujet soit terrible et bouleversant" ; "Si le roman ne devient pas pour le lecteur une expérience bouleversante, c'est en premier lieu à cause des réactions pour le moins bizarres du héros" ; "Les phrases sont de mauvais goût, maladroites », voilà en substance ce que disait la lettre jointe au manuscrit." »
Parmi les « réactions bizarres » du héros, il y a son acceptation passive de la réalité concentrationnaire, ponctuée par l'adverbe naturellement : dans ce nouveau monde, tout devient naturel : les uns ont le droit de tuer, les autres n'ont qu'à mourir, par ex. « au camp, nous avions faim, naturellement ». Ainsi, il constate, naïvement et naturellement, que les juifs du camps, avec leur tête rasée, leurs oreilles décollées et leur teint terreux sont laids, voire louches, comparés aux SS propres, bien nourris, bien habillés, en un mot, beaux. L'absence de tout jugement éthique permet au narrateur d'avoir une approche esthétique. Toute la réflexion, mais aussi l'émotion, qui sont volontairement absentes de Etre sans destin se retrouve dans Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas.

A nyomkeresö (1975-1991), traduit par Le chercheur de traces (2003), raconte le retour d'un énigmatique envoyé sur les lieux de sa déportation. On reconnaît sans peine « Köves » qui revient des années après à Buchenwald et à Zeitz. A la différence de Etre sans destin, le héros ne parle pas à la première personne et n'a rien d'un enfant naïf qui découvre, au contraire, c'est un homme qui constate avec effarement qu'il a été en quelque sorte dépossédé des lieux de sa mémoire. Le texte tout entier devient ainsi une réflexion sur l'érosion des choses et celle, inévitable, de la mémoire. Par exemple, lorsque « l'envoyé » se retrouve devant le portail de Buchenwald :
Le chercheur de traces (p. 126-127)
[...] le portail aurait dû être plus grand. Celui-ci était petit, insignifiant, inexistant, il se perdait dans le paysage, il était presque ridicule ; et les ornements en fer forgé de ses deux battants ajourés : les motifs ! les entrelacs ! les enchevêtrements sinueux, la course des lierres métalliques, les fugues, les décorations si complexes, si opaques, qui se croisaient et s'interpénétraient comme les coursives du destin : où étaient-ils ? Le dessin des ornements de ce portail-ci était si simple que moindre regard pouvait les déchiffrer au premier coup d'oeil : des losanges, de vulgaires losanges en fer forgé, placés en colonnes verticales parallèles avec une double soudure aux jointures, indiscutablement excellent, l'ouvrage n'était cependant pas ciselé avec art, comme il aurait dû l'être ; et malgré cela, c'était quand même le portail, sans aucun doute.

Detektîvtörténet (1975), traduit par Roman policier (2006) présente les agissements des services de sûreté dans une dictature militaire d'Amérique du Sud : on aura bien sûr reconnu derrière ce procédé déjà classique une critique des mêmes services de l'empire soviétique. Tout y est : paranoïa du pouvoir, fabrication de preuves, faux-semblants et exécution d'innocents. Cet essai de prose narrative assez traditionnelle constitue une parenthèse dans l'oeuvre de Kertész, bien que le thème de la confession du bourreau se retrouve dans le chapitre intitulé « Moi, le bourreau », dans le Refus. On y trouve cependant la technique du tiroir que l'auteur utilisera souvent par la suite : le texte cite abondamment d'autres textes (en l'occurrence, le journal du bourreau fait la part belle au journal de la victime).

A kudarc (1988), traduit par Le refus (2001)
, l'éditeur français ne s'imaginant pas publier un livre intitulé « L'échec » ou « Le fiasco », est l'une des expériences littéraires les plus intéressantes de Kertész qui y multiplie ses alter ego. Le roman, empreint tout entier d'une ironie féroce, se compose de deux parties. Dans la première, on voit Köves, un vieil écrivain en manque d'inspiration fouiller dans ses notes dont il nous donne à lire de larges extraits ; vivant chichement de ses traductions de l'allemand et du salaire de serveuse de sa femme, il incarne l'intellectuel indépendant dans la Hongrie socialiste. La seconde partie, écrite dans un style beaucoup plus classique, est en quelque sorte le roman du roman Etre sans destin : on y apprend les conditions dans lesquelles le roman fut écrit, puis refusé par l'éditeur ; on y trouve aussi un tableau saisissant des milieux journalistiques où Kertész a travaillé à l'époque stalinienne. Il y relate aussi son expérience d'auteur de livrets d'opérette à succès et ses échecs littéraires. On trouve l'étrange confession d'un bourreau, premier chapitre d'un roman de « Berg ». (Remarquons que la psychologie du bourreau est déjà abordée dans Roman policier.) Il montre comment la victime d'un système, en l'occurrence un « appelé du contingent » effectuant son service dans une prison est amené par les circonstances à frapper un détenu.
Le propos s'élargit : il ne s'agit plus de témoigner de l'horreur des camps nazis, mais d'étudier les mécanismes de la tyrannie et de l'asservissement, qu'ils soient mis en oeuvre par les nazis ou par les staliniens. L'ironie se manifeste surtout dans le style, par exemple quand un appartement minuscule est decrit en termes géographiques :
Le refus (p. 9) :
« Le couloir orienté est-ouest (en partant de la porte d'entrée) menait dans la pièce principale par une porte en verre cathédrale (ou plus précisément par son absence, car à cause du manque d'air elle était constamment ouverte) que divisait en son milieu une planche peinte, le coté sud donnait dans la kitchenette, plus à l'ouest, le couloir était délimité par les portes qui s'ouvraient sur la salle de bains, et encore plus à l'ouest, un pan de mur de 80 cm de longueur environ cédait la place à une patère (avec porte-chapeau). »
Un procédé similaire, accumulant les parenthèses, rend compte de la complexité de la réalité dont chaque élément est relié aux autres par un réseau infini de relations, ce que souligne également la longueur des phrases :
Le refus (p. 19)
« Sur le dossier gris était posée en guise de presse-papiers une pierre grise, d'un gris plus foncé, (oblongue) (ou plate) (ou arrondie) (selon le côté où on la regarde), bref une pierre grise aux formes irrégulières, à propos de laquelle on ne peut rien dire de rassurant (par exemple, que c'est parallélépipède) (ou peu importe, mais quelque chose qui réconcilie si bien l'esprit humain avec les objets, sans qu'il les comprenne en réalité, dès lors qu'ils correspondent au moins à la construction d'une figure et qu'on peut les considérer comme classés) puisque cette pierre avec ses arêtes, coins, pics, arrondis, rainures, fissures, saillies et bosselures existantes ou disparues était irrégulière, comme seule peut l'être une pierre dont on ne saura jamais si c'est un morceau détaché d'un rocher ou si, au contraire, c'est le vestige d'un bloc plus important, lequel bloc à son tour faisait partie d'une unité encore plus grande (comme le rocher par rapport à la montagne) (finalement chaque pierre nous entraîne dans des réflexions paléontologiques) (ce qui n'est pas notre but) (mais il est difficile de résister) (surtout quand on a affaire à une pierre qui oriente notre imagination en faillite) (vers des origines, des fins, des densités et des unités finales) (ou plutôt originelles) (pour nous renvoyer finalement à notre ignorance impuissante) (mais parée de la soi-disant dignité du savoir concernant, comme beaucoup d'autres choses, cette pierre, dont on ne saura jamais si c'est un morceau détaché d'un rocher ou, au contraire, le vestige d'un bloc plus important). »

Il applique une technique remarquable dans le Drapeau anglais, (Az angol lobogó), brève relation de l'insurrection de 1956 à Budapest : le texte se développe comme une spirale englobant des éléments de plus en plus vastes de la réalité. Dans les éditions hongroise et française, cette oeuvre est accompagnée d'un texte très court intitulé Procès-verbal (Jegyzökönyv) où le narrateur, qu'on identifie sans peine à l'auteur, raconte comment un douanier l'a refoulé à la frontière pour ne pas avoir déclaré une (modeste) somme d'argent. En quelques pages, Kertész rend compte de l'humiliation et de l'impuissance de l'individu face à la machine administrative. Ce texte est authentiquement kafkaïen.

Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas : un abîme de désespoir
Le kaddish est la prière des morts de la religion juive. Pour la prononcer, il faut réunir au moins dix hommes, dont le fils du défunt. Le premier mot du titre donne la tonalité : le texte sera funèbre, le mort pleuré sera juif. Mais tout de suite après, le lecteur est plongé dans la perplexité : non seulement le mort pleuré est un enfant et non un parent, mais surtout il n'existe pas, il n'est pas né, il ne naîtra pas. C'est, au sens propre de l'expression, le monde à l'envers. Cette prière signifiera donc le deuil d'une possibilité, en fait, celui de la paternité du narrateur qui refuse d'avoir un enfant et qui, comme c'est souvent le cas dans la littérature funèbre, pleure sur son propre malheur. Cette prière s'adresse à un Dieu qui n'est mentionné que dans les tous derniers mots du texte et à qui le narrateur ne demande ni apaisement ni consolation, mais l'anéantissement.
La citation de Paul Celan placée en épigramme souligne le caractère ironique de la prière : « assombrissez les accents des violons alors vous montez en fumée dans les airs alors vous avez une tombe dans les nuages on n'y est pas à l'étroit »
La fumée qui monte au ciel peut être celle d'un sacrifice, non celui d'Abel qui a tué un agneau, mais celui d'Abraham qu'aucun ange n'aurait arrêté et qui aurait sacrifié Jacob, son propre fils ; c'est aussi la fumée des fours crématoires où Dieu a permis que périsse son peuple. Tout père est un infanticide en puissance. Pour bien saisir la portée du Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas (original paru en 1990, traduit en 1995), il convient d'avoir à l'esprit Etre sans destin. Mais, tandis que ce dernier est un roman de découverte linéaire, Kaddish... est une réflexion, une rumination circulaire dont le ton et l'aboutissement sont donnés dès le premier mot : « Non ! ». Tout le texte, qu'on ne sait trop dans quel genre littéraire il faut classer, roman ? récit ?, consiste en une série d'explications de ce « Non » tombé certes dans une conversation, mais plutôt jeté à la face du monde et de la vie. Car il s'agit du refus d'être père, du refus d'assumer sa condition d'être vivant :
Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas (p. 7)
"Non !", dis-je immédiatement, tout de suite, sans hésiter, pour ainsi dire instinctivement, car il est désormais naturel que nos instincts agissent contre nos instincts, que pour ainsi dire nos contre-instincts agissent à la place de nos instincts, et même les supplantent, je fais de l'esprit, si toutefois on peut considérer cela comme un trait d'esprit, en d'autres termes, si on peut considérer que la vérité pitoyable et nue est un trait d'esprit, dis-je donc au philosophe qui venait vers moi, après que nous nous fûmes, lui et moi, arrêtés net dans cette forêt mourante rongée par la maladie, peut-être la tuberculose, et qu'on croirait entendre haleter, cette hêtraie, ou comment la nommer : j'avoue mon ignorance totale en matière d'arbres, je reconnais tout juste les sapins, à cause de leurs aiguilles, et puis les platanes, parce que je les aime et malgré mes contre-instincts, je sais encore reconnaître ce que j'aime, bien que ce soit sans cette violence qui me frappe en pleine poitrine, me noue l'estomac, me fait bondir et me galvanise, avec laquelle je reconnais ce que je hais.

Kertész retrace et ressasse dans ce monologue intérieur les événements de sa vie, d'une manière lancinante, répétitive. D'ailleurs, ses livres sont souvent construits comme des pièces de musique, chacun possédant une tonalité particulière que, en mélomane averti, il décrit parfois à l'aide de comparaisons musicales. Ainsi, Etre sans destin est atonal, écrit sous l'influence de Schönberg, Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas est placé sous le signe de la Neuvième Symphonie de Mahler, Le drapeau anglais fait la part belle à la Walkyrie de Wagner même si, en fait, la précision inouïe de sa composition rappelle immanquablement une pièce de Bach. Quant à sa autobiographie encore inédite, il l'a écrite, dit-il, au son de Mozart...
La cadence du Kaddish est donnée par un « Non ! » que le narrateur assène à un interlocuteur et l'on comprend bientôt qu'il s'agit d'un « Non ! » général, existentiel, destiné à tous les interlocuteurs, voire à la vie elle-même. Par sa brièveté, cette syllabe (qui se dit nem en hongrois) fait l'effet d'un coup de cymbale qui marque un rythme extrêmement lent mais inexorable, et pas moyen de reprendre son souffle dans l'intervalle, un peu à la manière des deux notes qui ponctuent, certes avec douceur, le premier mouvement de la 9e Symphonie de Gustav Mahler dont « l'atmosphère permet d'appréhender [l'] état d'âme » du narrateur du Kaddish qui la « sifflote » sans cesse, ce qui nous permet d'établir de séduisants parallèles : l'oeuvre de Mahler comme celle de Kertész contient des réminiscences internes et la Neuvième symphonie fut composée dans l'année qui suivit la mort de la fille du compositeur.
A la page 119, le même « Non » est argumenté :
« Non !, je ne pourrais jamais être le père, le destin, le dieu d'un autre être... »
Plus qu'une plainte, ce texte est un réquisitoire prononcé par un rescapé des camps de concentration, qui se rend compte que toute son éducation, dont le camp fut une étape déterminante, l'a dépossédé de son destin d'être humain, en lui en imposant un autre, à savoir celui d'un être qu'on peut tuer n'importe où, n'importe quand, c'est-à-dire dans les conditions du milieu du 20e siècle, la condition de juif. Il découvre son identité juive par hasard, à l'occasion de son séjour en province chez des cousins juifs orthodoxes : « Oui, c'est là que j'avais vécu pour la première fois parmi des juifs, je veux dire de vrais juifs, et non des juifs tels que nous, juifs de la ville, juifs de Budapest, c'est-à-dire juifs quelconques, mais pas chrétiens, bien sûr, ce genre de juifs non-juifs qui respectent quand même le jeûne de l'Expiation au moins jusqu'à midi, non, l'oncle et la tante (je ne me rappelle plus à quel degré, pourquoi m'en souviendrais-je, ils ont depuis longtemps creusé leur tombe dans l'air où ils sont partis en fumée) étaient de vrais juifs, avec prière le matin, prière le soir, prière avant les repas, prière du vin [...] oui, et un matin, j'ouvris imprudemment la porte de la chambre à coucher, et immédiatement, en silence, ne poussant un cri que dans mon for intérieur, je me détournai, parce que j'avais vu quelque chose d'horrible, qui m'avait fait l'effet d'une obscénité à laquelle, rien qu'en considérant mon âge, je ne pouvais pas me sentir préparé : une femme chauve en robe de chambre rouge assise devant son miroir. [...] et ensuite, devenant de plus en plus sérieux, [mon père] ajouta que j'étais juif moi aussi, ce qui, comme cela se révéla petit à petit, était en général passible de la peine de mort, vraisemblablement pour que je considère ce fait particulier et incompréhensible, c'est-à-dire d'être juif, dans sa propre étrangeté, mais sous un éclairage plus familier, je compris alors qui j'étais [...] »

Dans cette scène clé du Kaddish, le narrateur se découvre une identité qu'il avait jusque-là ignorée, et il sait que désormais c'est cette identité-là, qu'il trouve monstrueuse, qui déterminera son existence. Par conséquent, il ne veut pas, ne peut pas avoir d'enfant pour ne pas lui faire courir le risque de vivre ce que lui-même a vécu. De cette manière, il pose une des grandes questions de « l'après-Auschwitz », autrement plus douloureuse que celle de Wilhelm Adorno qui s'interrogeait sur la possibilité d'une poésie après Auschwitz : Kertész, lui, se demande si une humanité, une vie, est possible après Auschwitz, et la réponse qu'il apporte dans le Kaddish est clairement « Non ! » Cette question, d'autres se la sont posée avant lui et leur réponse était souvent désespérée : les écrivains Primo Levi, Jean Améry, Tadeusz Borowski, Paul Celan, qui ont tous été pour lui des modèles d'écriture et de droiture, se sont donné la mort, car ils ne supportaient plus leur survie. Kertész, peut-être parce qu'il était encore un enfant à son retour des camps, n'a pas attenté à ses jours, mais, de même que les auteurs cités précédemment, il s'est volontairement privé de descendance, pour la raison explicite de ne pas donner de nouvelle victimes aux bourreaux, et de cette manière, devenir leur complice.
Cette attitude n'est pas universelle et de nombreux survivants fondent des familles justement pour signifier leur victoire sur les bourreaux, la victoire de la vie sur la mort. De célèbres chasseurs de nazis, eux-mêmes rescapés des camps, comme par exemple Simon Wiesenthal, ont fondé des familles, mais c'est peut-être là l'expression d'une différence entre artistes et hommes d'action.
On pourrait certes voir une sorte de confort existentiel dans le fait de s'interdire d'avoir une descendance tout en continuant à vivre comme si de rien n'était, mais justement, au contraire, il y a eu quelque chose qui a tué l'instinct de survie. Il est remarquable qu'aucun des personnages des romans de Kertész, dont ses nombreux alter ego, ne se suicide, à une notable exception près : le personnage désigné par B. dans le roman intitulé Liquidation ; il est né dans un camp concentration, il est l'auteur d'un manuscrit qu'il demande à sa femme de détruire, et il se suicide après la « chute du mur ». Naturellement, on reconnaît Berg, l'un des avatars de Kertész, et le manuscrit disparu est selon toute vraisemblance celui du Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas. La « chute du mur », symbole de la seconde libération après celle des camps, est en même temps la clôture d'une certaine littérature, de la littérature des prisons en quelque sorte, qui était née après Auschwitz. L'écrivain B. acquiert alors cette liberté suprême qu'est le suicide.
Car le narrateur du Kaddish n'est pas un homme libre, c'est un être sans destin auquel des forces extérieures et maléfiques ont imposé une destinée dont il ne voulait pas mais qu'il doit désormais porter comme un fardeau. Dans le cas de KI, ce destin, c'est le fait d'être juif. Et bien qu'il soit « assimilé », il est identifié aux juifs traditionnels dans lesquels ils ne se reconnaît pas, au point de traiter l'un d'eux de « sale juif » dans Etre sans destin. Ce destin lui étant imposé, il refuse de l'imposer à son tour à sa descendance. De cette manière, il se condamne plus qu'à mort : il se condamne à l'extinction.
L'entourage du narrateur ne partage pas nécessairement cette opinion, en particulier les femmes. Mais tant dans Kaddish... que dans Liquidation, elles finissent par le quitter, car elles font le choix de la vie, en l'occurrence celui de donner naissance à des enfants. De cette manière, en refusant de donner la vie, le narrateur est quasiment considéré par sa femme comme un assassin, comme quoi, on n'échappe pas à l'infanticide, qu'on remette l'enfant au bourreau ou qu'on refuse de lui donner la vie. (Il y aurait d'ailleurs une réflexion à mener sur la place et le rôle des femmes dans l'oeuvre d'Imre Kertész.)
Le Kaddish est sans conteste l'oeuvre la plus noire, la plus désespérée de Kertész. Rien ne résiste au rouleau compresseur du désespoir de son personnage : ni ses amis, comme le pauvre M. Oblath, si son ancienne épouse, ni son enfance, ni lui-même en définitive, le récit s'achevant sur une note extrêmement sombre :
Kaddis (p.195-196)
Kaddish (p. 156) :
« Parfois, comme une martre pelée qui aurait survécu à la grande extermination, je traverse encore la ville. A certains bruits, certaines images, je dresse l'oreille comme si mes sens engourdis et encroûtés étaient agressés par l'odeur des bribes de souvenirs. A côté de certaines maisons, à certains coins de rues, je m'arrête, effrayé, les narines dilatées, je scrute les alentours d'un oeil effrayé, je veux m'enfuir mais quelque chose me retient. Sous mes pieds bouillonnent les égouts, comme si le torrent sale de mes souvenirs voulait déborder de son lit pour m'engloutir. Qu'il en soit ainsi ; je suis prêt. Dans un dernier, grand résumé j'ai montré ma vie faillible, opiniâtre, je l'ai montrée pour ensuite, portant le baluchon de cette vie dans mes deux mains tendues, m'en aller et, comme dans l'eau noire et tempétueuse d'un torrent, sombrer, mon Dieu !, faites que je sombre pour l'éternité, Amen.

Après le Kaddish : vivre quand même.
La fin désespérée du Kaddish... trouve un écho apaisé dans une oeuvre ultérieure intitulée Un autre. Journal d'une métamorphose (1999). Comme son titre l'indique, cet ouvrage marque un tournant dans l'oeuvre de Kertész. Ecrit sous la forme d'un journal de voyage en Allemagne où il donne quelques conférences et dans le sud de la France, ce texte qui renvoie au Journal de galère, (1992), encore inédit en français, que Kertész a tenu de 1961 à 1991 et permet de suivre son évolution intellectuelle et littéraire : il y parle de ses lectures et de ses problèmes d'écriture. Ce journal complète et éclaire le reste de son oeuvre.

Un autre est constitué d'une série d'anecdotes et de réflexions, dans la ligne générale de son oeuvre. Il y raconte aussi la mort de sa première épouse, à laquelle il fait aussi allusion dans le Procès-verbal et qu'on reconnaît également dans Liquidation, son dernier roman. Aussi douloureuse qu'elle soit, cette mort apparaît comme une libération, comme le moteur de la métamorphose du titre puisqu'un, un thème jusqu'à présent absent, ou du moins très discret dans l'oeuvre de Kertész fait ici son apparition : l'amour, qui transfigure l'existence et la rend à nouveau possible, malgré Auschwitz. Ce thème deviendra d'ailleurs l'un des moteurs de Liquidation. La tonalité des dernières lignes de Un autre est révélatrice, comparée à la fin de Kaddish... :
Un autre (p. 149-150)
« Je me rends compte, et cette certitude me donne presque le vertige, qu'en un seul instant, le passé peut effectivement devenir tel qu'on le nomme : passé, un réceptacle de vieilles choses, impressions, voix et images qui ont totalement rompu avec leur sources vives, avec la vie qui les a fait naître et les a maintenu intactes pendant un certain temps. Mon histoire s'est détachée de moi : soudain, je perds l'équilibre comme si j'étais perdu, et qu'entre le passé et le futur, je glissais hors du temps. Plus tard, je me redresserai de cet effondrement et j'obéirai à cet appel insistant, à cette voix qui, au-delà du brouillard qui m'entoure à présent, m'invite à vivre à nouveau. Mais en ce moment, ne sachant rien, ne comprenant rien, je me tiens à la limite de la vie et de la mort, le corps penché en avant, vers la mort, ma tête se retourne encore vers la vie, mon pied se lève pour un pas indécis. Où se posera-t-il ? Peu importe, car celui qui fera le pas, ce ne sera plus moi, ce sera un autre... »

Le dernier roman de Kertész, Liquidation (2004), achevé après l'obtention du prix Nobel, « liquide » au sens comptable du terme toute l'oeuvre et les obsessions de l'auteur, et confirme la nouvelle veine qui est apparu dans Un autre, à savoir la rédemption par l'amour : il y est question d'un manuscrit disparu dont l'auteur, un certain B., né dans un camp concentration, s'est suicidé après la chute du mur. On reconnaît naturellement Berg, l'un des avatars de Kertész, et le manuscrit disparu est selon toute vraisemblance celui du Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas. La chute du mur, symbole de la seconde libération après celle des camp, est en même temps la clôture d'une certaine littérature, de la littérature des prisons en quelque sorte, qui était née après Auschwitz. Le suicide de B. est donc la fin symbolique d'une vie littéraire consacrée entièrement à l'étude de l'homme dans les conditions de la tyrannie. On reconnaît dans B. non seulement l'auteur du Kaddish mais aussi « le vieux » du Refus, comme l'indique le journal intime du personnage nommé Judit :
Liquidation (p. 108) :
J'ai fini par admettre, difficilement certes, qu'Auschwitz était mon fiancé... Ma rencontre avec Bé n'était pas le fruit du hasard. C'est comme si j'avais su qu'un jour, je devrais aller au bout de l'énigme de ma vie et que le seul moyen de le faire était de vivre Auschwitz. Bé aussi a vécu Auschwitz ici, à Budapest, bien sûr un Auschwitz qui ne ressemblait pas à Auschwitz-même, un Auschwitz librement choisi, adouci, mais où l'on pouvait mourir aussi réellement que dans le vrai. Ce n'est qu'avec Bé que j'ai pu vivre Auschwitz à Budapest. Il est vrai que j'étais incapable d'aller aussi loin que lui. Moi, je souffrais, lui, il restait froid. Parfois, sa détermination me rendait folle. Il était radical dans l'autodestruction, impitoyable voire cruel. Au début, je pensais que cela nuisait à son talent. Plus tard, j'ai compris qu'il avait mis tout son talent au service d'Auschwitz, qu'il était l'artiste patenté et exclusif du mode de vie d'Auschwitz. Il avait l'impression d'être né illégalement, d'être resté en vie sans raison et que son existence ne pouvait se justifier que s'il « résolvait l'énigme nommée Auschwitz ».
Du point de vue de la technique littéraire, c'est une juxtaposition de plusieurs genres : journal, roman, théâtre et poésie, les mêmes thèmes étant traités sous des formes différentes. La technique du tiroir est poussé à son paroxysme et l'on ne sait pas toujours à quel niveau de la narration on se trouve.

Conclusion

Monothématique et autobiographique, l'oeuvre d'Imre Kertész analyse, au-delà de l'univers concentrationnaire et de ses séquelles, au-delà de la dictature stalinienne, la confrontation quotidienne de l'homme avec le bien et le mal dans un univers où ces notions n'ont plus cours. La tyrannie dévalue toutes les valeurs : c'est en ce sens qu'il faut comprendre ce qui à la fin de Etre sans destin ressemble à une provocation (« le bonheur des camps de concentration ») et le suicide de B. dans Liquidation qui retrouve après la chute du Mur la liberté suprême, celle du suicide. Kertész n'est pas facile à traduire. La longueur des phrases, le mélange des genres, l'interpolation des discours directs et rapportés sont difficiles à rendre en français où, contrairement au hongrois, l'ordre des mots est rigide, le système des temps est complexe et strictement codifié. Voilà sans doute pourquoi aucune traduction n'est définitive.

Bibliographie des oeuvres d'Imre Kertész traduites en français (par N. & C. Zaremba) :

  • Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, 1995
  • Etre sans destin, 1998 ; 2e édition : 10/18, 2002
  • Un autre, 1999
  • Le refus, 2001
  • Le chercheur de traces, 2003
  • Liquidation, 2004
  • Le drapeau anglais, 2005
  • Etre sans destin, Le film, 2005
  • Roman policier, 2006

Inédits en français :

  • Journal de galère (Journal 1961-1991)
  • La langue exilée (essais)
  • Le dossier K. (autobiographie)
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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !