Lettre du Cercle Bernard Lazare - Grenoble à  Richard Prasquier, président du CRIF

Cercle Bernard-Lazare - Grenoble
à 
M. Richard PRASQUIER, Président du CRIF

Grenoble, le 5 octobre 2010

Monsieur le Président du CRIF,

Les débats lancés par le Président de la République et le gouvernement sur l'immigration et sur les Roms ont donné lieu, en réponse, à  des dérapages offensant la mémoire des victimes de la barbarie nazie. Des voix, hélas beaucoup trop nombreuses, ont comparé le sort infligé aux persécutés juifs avec celui des immigrés et des Roms. Certaines de ces voix étaient sincères mais naïves. D'autres poussaient une fois encore leur antisionisme maladif jusqu'au négationnisme.

Le Cercle Bernard Lazare - Grenoble condamne avec la plus grande fermeté cet amalgame qui banalise la Shoah. C'est pourquoi nous nous sommes félicités que le CRIF ait aussitôt réagi et dénoncé une comparaison aussi peu respectueuse de la spécificité de ce que nous avons subi durant les années noires.

Ce nécessaire rappel historique ayant été fait par nos instances représentatives, nous avons cependant attendu dans un deuxième temps la prise de position sur le fond du bureau exécutif du CRIF. Le clivage sur ces questions n'était pas partisan : tour à  tour l'ONU, les Etats-Unis, la Commission européenne, le Conseil de l'Europe, la presse des pays démocratiques, le Vatican, les églises catholique et réformée de France, trois anciens premiers ministres de droite et plusieurs parlementaires de la majorité, ont exprimé leur désaccord soit avec l'amalgame opéré entre l'immigration et la délinquance ou encore avec l'annonce de déchéances massives de nationalité soit par rapport aux expulsions de Roms conduites sur une base ethnique.

Nous ne doutions donc pas que le CRIF, au nom des valeurs communes qui sont censées nous rassembler - c'est-à -dire les valeurs du judaïsme -, ferait lui aussi entendre sa voix dans ce concert de protestations morales, sans avoir à  déroger pour autant à  la neutralité partisane dont il se prévaut ni même aux sympathies politiques exprimées par ses principaux dirigeants.

Tel ne fut toutefois pas le cas à  notre plus vive surprise. Le silence du CRIF est demeuré absolu - à  défaut de passer inaperçu, à  la seule exception, pour les Roms, de votre interview du 1er septembre dans Paris-Match, qui nous a plus mis mal à  l'aise que rassurés en évoquant la délinquance particulière d'une ethnie, ce qui est impossible à  vérifier et par ailleurs contraire à  la loi. Si comme nous le craignons ce silence devait perdurer, il susciterait notre incompréhension et notre indignation - pour ne pas dire qu'il constituerait clairement une rupture grave du pacte de confiance entre le CRIF et un certain nombre de ses associations adhérentes.

Ce silence se révélerait en effet contraire aux enseignements de notre histoire tragique comme aux valeurs juives fondamentales. Même si les conséquences en seront cette fois-ci heureusement beaucoup moins tragiques, les déchéances de nationalité devraient par exemple provoquer un rejet instinctif de nos consciences. Quant à  la stigmatisation illégale d'un groupe ethnique dans une circulaire ministérielle, nous nous étonnons qu'elle n'ait entraîné aucune réaction sur le site du CRIF alors qu'une même intolérance manifestée à  notre égard aurait suscité, et à  fort juste titre, des cris d'effroi de notre part !

Que nous soyons laïques ou religieux, nous devrions pourtant, en tant que Juifs, nous inspirer du Lévitique, qui nous enjoint de respecter l'étranger, nous qui l' " avons été en pays d'Egypte ", et surtout nous qui avons toujours été accusés de l'être par l'extrême-droite française, dont les suffrages sont aussi impudemment convoités. Laïques ou religieux, nous osons de toute façon penser que nous avons tous à  coeur de demeurer fidèles à  l'enseignement de Hillel, qui nous enjoint de ne pas faire aux autres ce qui nous paraît détestable pour nous-mêmes.

De même, que nous soyons de droite ou de gauche, nous devrions là  encore tous nous montrer fidèles à  notre histoire depuis l'Emancipation de 1791, qui a toujours fait de nous les plus ardents républicains de France. Pourquoi le CRIF n'élève-t-il pas aujourd'hui la voix pour défendre les fondements de la République, dont toutes les autorités morales estiment qu'ils sont menacés par ces débats nauséabonds ? Nous croyons quant à  nous que les Juifs ont une contribution spécifique à  apporter à  la conscience morale de notre pays. Le Cercle Bernard Lazare - Grenoble regrette que le CRIF s'en abstienne actuellement par on ne sait quelle frilosité ou quelle considération partisane qui ne devrait pourtant pas primer sur les impératifs de la représentation de notre communauté.

Ce silence, s'il se confirmait, serait par ailleurs contraire aux intérêts des Juifs de France - la faute politique s'ajoutant à  la faute éthique. Certes, les appels du pied adressés à  l'électorat du Front national ont pris soin de nous épargner pour ne fustiger que les maghrébins, les noirs et les Roms. Mais en légitimant le racisme et en alimentant l'intolérance, ils ne manqueront pas d'entretenir un climat délétère dont nous ferons nous aussi les frais. Croyez-vous que le café du commerce établira le même distinguo et nous oubliera dans ses diatribes contre les mauvais Français ? Nous en doutons fortement pour notre part. Les expressions maurrassiennes de Brice Hortefeux ("La France n'est pas un terrain vague ", à l'origine antisémite) ou encore l'hommage rendu lors du précédent " débat " sur l'identité nationale par la ministre Nadine Morano à  Maurice Barrès, qui déduisait la culpabilité de Dreyfus " de sa race ", montrent que lorsqu'une digue est tombée plus personne ne peut espérer demeurer au sec.

En réalité, la logique du discours de Grenoble et des assertions qui ont suivi est clairement celle d'une mise sous tension de la société française à des fins purement partisanes. Nous pensons pourtant quant à  nous, à la lumière de l'histoire contemporaine, qu'une société apaisée serait plus garante de la tranquillité des Juifs qu'une société fortement clivée (et sur des bases désormais ethniques !) par ceux qui sont censés représenter la République et incarner l'intérêt général. Comment le CRIF peut-il faire fi de ce danger pesant sur nous à  l'heure o๠la première conséquence de cette actualité politique est la consternante banalisation du Front National aux yeux de 42 % des Français, qui le décrivent à  présent comme un parti comme les autres (sondage BVA du 23 septembre), ce qui n'étonnera personne puisque la même enquête révèle que 66 % des Français estiment que le gouvernement se rapproche désormais du FN ?

Comment pouvez-vous, tout en refusant de vous prononcer sur la politique gouvernementale dans l'entretien du 1er septembre sus-mentionné, décerner dans ces mêmes colonnes un brevet d'anti-racisme au sommet de l'Etat ? Ce faisant, vous ne jugez pas la réalité pratique d'une politique, mais prétendez sonder la conscience de ceux qui nous gouvernent. Cette solidarité partisane systématique est néfaste aux intérêts de notre communauté. Le paroxysme de cette allégeance est atteint ces derniers jours par l'absence de réaction du CRIF au ballon d'essai d'un conseiller élyséen qui, dans le journal " Aujourd'hui " nous informe que Marine Le Pen et le Front National ont vocation, à  terme, à  rentrer dans un gouvernement de droite !

Mais nous nous montrons d'autant plus inquiets de ce silence que l'indifférence affichée, hélas en notre nom à  tous, par le CRIF à  l'égard des autres minorités ne demeurera pas sans conséquence sur le climat social dans notre pays - et de cela aussi les Juifs auront à  souffrir. L'antisémitisme latent des banlieues se trouvera inévitablement renforcé par les attaques portées contre les communautés qui l'habitent si nous ne leur manifestons aucune solidarité et donnons ainsi au contraire l'impression d'être du côté de ceux qui les stigmatisent.

C'est pourquoi le Cercle Bernard Lazare - Grenoble vous demande de faire enfin entendre notre voix pour défendre, face aux discours actuels du Président de la République, la tolérance, le refus du racisme et l'égalité entre tous les Français gràce auxquels nous sommes aujourd'hui des citoyens à  part entière. Un grand nombre de Juifs, quelles que soient leurs opinions politiques, s'adressent au CRIF par notre voix en espérant être entendus.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de nos sentiments respectueux, mais entachés d'inquiétude et de tristesse.

Edith Aberdam, Présidente du Cercle Bernard Lazare - Grenoble

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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !