Le Crif, dernier épisode

Polémique autour de l'éditorial "Les évincés" de Richard Prasquier, président du Crif

Cette page rassemble trois textes :

  • l'éditorial Les évincés de Richard Prasquier, président du Crif
  • la lettre adressée à Richard Prasquier, en réaction, par le Cercle Bernard Lazare - Grenoble
  • l'article de David Kessler publié dans Libération du 28 novembre 2011 sous le titre Maintenant, le Crif liste les juifs !

Editorial : "Les évincés" de Richard Prasquier, président du Crif

Les négociations entre le PS et EELV (les Verts) pour le choix des candidats d’union aux prochaines élections législatives ont abouti à l’éviction de Serge Blisko (6e circonscription, 13 et une partie du 14e), de Tony Dreyfus (5e circonscription 10e et une partie du 3e où Martine Billard élue écologiste a rejoint Jean Luc Mélenchon) et de Danièle Hoffman Rispal (6e circonscription, 11e et une partie du 20e). Un autre « évincé » est Daniel Goldberg (sixième circonscription de la Seine Saint Denis, Aubervilliers-Pantin, pour faire la place à Elisabeth Guigou). Cécile Duflot serait candidate dans la circonscription de Danièle Hofmann ; dans celle de Serge Blisko, on parle, à la place de Yves Cochet, député européen, de Yves Contassot, réputé être parmi les plus virulents des antisionistes du parti écologique.

L’effet d’affichage des noms des évincés est désastreux. Il est tentant de parler d’antisémitisme, certains l’ont déjà fait et je me garderai de les suivre. Je pense que nous n’en sommes pas là. Les situations internes des uns et des autres sont différentes, comme le sont d’ailleurs leurs liens avec le judaïsme, la communauté juive organisée ou l’Etat d’Israël.

Ce que je sais néanmoins, c’est que plusieurs de ces « évincés » sont garants, dans leur histoire assumée personnelle et familiale, d’une mémoire des persécutions et des luttes communes dont nous ne pouvons accepter qu’elle soit rangée au rayon des vieilles lunes à honorer du bout des lèvres. Plusieurs sont, dans cette agglomération parisienne où la représentation politique juive diminue de façon progressive, des ponts avec la tradition socialiste. Cette tradition historique doit être préservée sans céder aux sirènes de la détestation d’Israël dont malheureusement les Verts ont absurdement fait un de leurs étendards. Les choix effectués par le PS seront perçus par la communauté juive comme allant dans le même sens.

Richard Prasquier, Président du CRIF


Lettre adressée à Richard Prasquier, en réaction, par le Cercle Bernard Lazare - Grenoble

Grenoble, le 23 novembre 2011

Le Cercle Bernard Lazare – Grenoble
à
Monsieur Richard Prasquier, président du CRIF

Monsieur le Président,

Le Cercle Bernard Lazare - Grenoble a ressenti, à la lecture de votre éditorial sur « les évincés » du Parti socialiste, un trouble dont nous nous croyons tenus de vous faire part. Dans votre prise de position, vous accusez en effet le Parti socialiste d’antisémitisme, après qu’il n’a pas reconduit quatre députés juifs à Paris. Certes, vous avez la précaution oratoire de lâcher le mot tout en vous défendant de le penser. Mais vous maîtrisez assez votre expression pour deviner qu’il sera le message retenu par la communauté.

Notre trouble se trouve justifié par trois raisons :
l’accusation portée à tort contre une formation républicaine ;
la tentation communautariste induite par votre éditorial ;
le parti-pris partisan de ce texte, contraire aux intérêts de nos institutions communautaires.

L’accusation portée à tort contre une formation républicaine

Quoi que nous puissions penser du Parti socialiste, légitimement soumis à la critique comme toute formation en démocratie, personne ne peut honnêtement l’accuser d’antisémitisme. C’est pourquoi les quatre députés concernés se sont désolidarisés de votre éditorial. Comment pourrait-on soupçonner de cette infamie un parti qui voulait présenter à l’élection présidentielle l’un des nôtres – qui se revendique comme juif et comme sioniste ? Il y a donc à notre sens une coupable légèreté à vouloir évaluer le degré d’antisémitisme d’un parti républicain laïc. Il est des mots que nous gagnerions à employer avec plus de parcimonie. Car il est contre productif de dénoncer partout l’antisémitisme alors que nous peinons déjà à faire admettre sa réalité là où il se manifeste véritablement. Si l’outrance de nos propos entretient la confusion entre le Parti socialiste d’une part, Boycott-Désinvestissement-Sanctions, le Front National et Dieudonné d’autre part, alors ces trois derniers se verront absous, par notre faute, de leur antisémitisme, et nous ne serons bientôt plus en situation de les combattre.

La tentation communautariste

Nous pensons que votre éditorial méconnaît gravement les principes républicains auxquels le Cercle Bernard-Lazare - Grenoble est très attaché. Dans une République, il ne saurait y avoir de député juif. En France, il y a des députés représentant le peuple français et dont certains sont, à titre privé, juifs, comme d’autres sont chrétiens, musulmans ou rien du tout. C’est bien ainsi, du reste, que l’entendait l’électorat très majoritairement non juif des quatre députés concernés. Aussi nous estimons qu’il y une maladresse et un danger à établir une liste de noms juifs à des fins cette fois-ci communautaristes, alors que nous sommes persuadés que cette tentation-là n’est pas la vôtre et qu’elle ne correspond pas à vos conceptions républicaines personnelles.

Le parti-pris partisan

Nous regrettons la différence de traitement que vous pratiquez entre les formations politiques, qui contrevient à la nécessité de neutralité du CRIF. Alors que l’éviction des quatre députés pour des raisons politiques sur lesquelles nous n’avons pas à nous prononcer est soupçonnée d’antisémitisme, le CRIF n’avait pas en revanche pas cru bon de réagir aux propos de Christian Jacob sur Dominique Strauss-Kahn lorsqu’il faisait encore figure de favori pour l’élection présidentielle. Faut-il vous en rappeler la teneur ? Dominique Strauss-Kahn était censé, pour le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, ne pas correspondre – nous le citons – « à l’image de la France, la France rurale, de la France des terroirs et des territoires, de la France qu’on aime bien » (sic). Ce propos néo-pétainiste avait une connotation subliminale antisémite, annonçant une campagne nauséabonde à laquelle le CRIF aurait été mieux inspiré de s’opposer d’emblée et avec fermeté. Comment cette différence de traitement n’aurait-elle pas pu nous donner l’impression que vos réactions étaient plus commandées par les étiquettes partisanes des uns et des autres que par la réalité de leurs propos ou de leurs actes ? Or ce parti-pris est préjudiciable à la vocation qu’a le CRIF de représenter tous les Juifs de France.

Dénonçant votre éditorial, nous n’en ignorons pas pour autant le contexte. Nous devinons que votre prise de position correspondait à l’attente de certains des responsables communautaires et que l’absence de réaction vous aurait été reprochée. Cependant le Cercle Bernard-Lazare - Grenoble croit devoir vous rappeler qu’il vaut mieux servir les intérêts véritables de notre communauté que de flatter les sentiments de tels ou tels d’entre nous. Les réactions suscitées par votre éditorial nous laissent à penser que l’autorité morale du CRIF n’en sortira pas grandie. Nous le regrettons vivement. Nous croyons en effet au contraire plus que jamais indispensable de faire entendre notre voix dans la société française d’aujourd’hui pour combattre l’antisémitisme et pour défendre le droit à l’existence et la sécurité de l’Etat d’Israël. Ce sont là deux raisons d’être essentielles de nos institutions communautaires.

Ne doutant pas que, cette fois ci, votre réponse lèvera tout malentendu, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments les meilleurs.


Article de David Kessler publié dans Libération du 28 novembre 2011

sous le titre Maintenant, le Crif liste les juifs !
Libération, le 28 novembre 2011. Rebonds : Maintenant, le Crif liste les juifs !

par David Kessler, ancien président du Mouvement juif libéral de France (MJLF)

L'application commercialisée par Apple "juif ou non juif", qui permettait d'identifier la religion de personnalités de différents milieux, a suscité un tel tollé qu'Apple l'a retirée. On se demande quelle mouche a piqué Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), d'avoir prolongé en quelque sorte le travail de "juif, non juif", en désignant nommément comme juifs, le 17 novembre, les députés socialistes concernés par l'accord Parti Socialiste - Europe Ecologie-les Verts !

Outre que la compétence du président du Crif pour commenter un accord politique entre deux formations est complètement étrangère aux missions de cet organisme, le texte signé par Richard Prasquier laisse pantois. Les députés touchés seraient juifs. On ne le sait que par leurs patronymes (sic) qui permettent de les citer nommément sans s'interroger sur le fait qu'ils peuvent ou non, à leur choix, se revendiquer tels. S'il a la prudence de se garder de l'accusation directe d'antisémitisme, c'est pour se faire le relai (malgré lui, donc !) de cette accusation et souligner qu'un tel accord priverait l'Assemblée nationale d'hommes et de femmes au passé spécifique.

On pourrait en rester là si cet argumentaire n'était à la fois détestable et consternant. Pour qui a la moindre connaissance de la vie politique française, l'engagement de tous ceux qui y participent, à droite comme à gauche, s'est toujours fait au delà des préoccupations communautaires. Ce sont les antisémites qui ont désigné comme juifs Léon Blum (Qu'on se souvienne de l'apostrophe de Xavier Vallat : "pour la première fois notre pays sera gouverné par un juif") ou Pierre Mendès France (d'où la violence des attaques dont il fut l'objet). Récemment encore, celui qui s'apprêtait à être candidat à la présidence de la République disait la crainte que suscitaient en lui des mises en cause éventuelles de sa judéité. Tous ces hommes et toutes ces femmes se sont toujours engagés au nom d'une vision de la société (à droite ou à gauche) et d'un sens de l'intérêt général, en aucun cas pour représenter une communauté. Ils sont au service de la France et de la République. Les candidats à une élection doivent être jugés sur leur engagement, selon leurs conviction, leur apport. Selon le président du Crif, ils devraient maintenant l'être en fonction de leur origine ?

Cette approche est détestable parce qu'elle exprime, au delà même de ce qu'elle dit, une dérive d'un organisme créé pour représenter les juifs de France auprès des pouvoirs publics vers un judaïsme sectaire, communautaire, qui compte les siens et vérifie qu'ils restent bien en place. Quitte à fournir sur un plateau des arguments de choix à l'antisémitisme toujours prêt à renaître : chacun sait que les libelles antisémites font la liste des juifs présents dans la politique, les médias, la culture... Ce n'est plus nécessaire aujourd'hui : le Crif le fait lui-même !

Un dernier mot, enfin. On croit lire, à la fin de cette intervention du président du Crif : on remplacerait ainsi des juifs par des verts pro-palestiniens. De cela, les juifs devraient tenir compte lors des prochaines élections. Quoi que l'on pense des positions des uns et des autres, quoi que l'on pense de l'acord ainsi passé, réduire les enjeux de la prochaine élection présidentielle dans une Europe en crise et confrontée à des choix drastiques à la seule question qui compte apparemment aux yeux du Crif (qui est le plus pro-israélien des candidats ?) atteste de l'étroitesse du champ de vision ou se complaisent désormais certaines institutions juives.

Elle traduit hélas la dérive droitière d'une très large partie des institutions communautaires à laquelle on assiste depuis des années : alors que les juifs de France, installés dans un pays où vit une très importante communauté musulmane pourraient être les têtes de pont d'un dialogue intercommunautaire, ils choisissent l'enfermement et le repli sur soi. L'exemple de l'intervention de Richard Prasquier est saisissant : un accord entre deux formations politiques où, j'en suis convaincu, la question d'Israël n'a pas joué le moindre rôle devient le seul prisme de lecture. C'est simplement consternant

Au delà, elle donne à penser sur l'évolution d'une communauté - ou du moins de ses représentants - dont l'histoire en France fut celle d'une participation large et enthousiaste à la vie nationale dans tous ses domaines et qui semble désormais vouée à mettre cette nation sous tension. On aimerait voir un Crif oeuvrer pour la compréhension et contre la violence. Qui peut penser sérieusement que ces circonscriptions liées à des équilibres politiques aient été abandonnées par le Parti socialiste en raison de la religion des députés ? Pour qui connaît le fonctionnement du Parti socialiste, c'est particulièrement risible. le Crif semble dire que les juifs de France sont élus pour apporter leur bagage communautaire et défendre Israël. Ceux qui se sont engagés au service de la France l'on toujours fait pour défendre des valeurs communes aux Français et chères à la République. Ubu devient roi : le Crif raisonne en miroir avec les antisémites. Dépêchons nous d'arrêter ces dangereuses dérives.

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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !