Amos Oz : Lutter contre le fanatisme

New-York Times 14 septembre 2001

Arad, Israël.

Une vague de fanatisme religieux et nationaliste traverse actuellement l'Islam, des Philippines à Gaza, à la Libye, à l'Algérie, d'Afghanistan d'Iran, d'Irak au Liban et au Soudan. Ici, en Israël, nous subissons de plein fouet cette onde fatale de fanatisme : nous sommes témoins de manière quasi-quotidienne du lien effectué entre l'incitation à la haine et les assassinats de masse, entre les sermons religieux célébrant le djihad et sa réalisation dans des attentats-suicides contre des civils innocents.

Le fait d'être victimes du fondamentalisme arabe et musulman souvent nous aveugle, et nous fait oublier que la montée de l'extrémisme religieux et chauvin n'emporte pas uniquement le monde de l'Islam, mais existe aussi dans diverses régions chrétiennes, et même chez le peuple juif.

S'il s'avère que la terrible épreuve endurée par l'Amérique aujourd'hui découle de son image de « Grand Satan », que véhiculent avec insistance certains mollahs et ayatollahs fanatiques, alors l'Amérique, comme Israël - le « Petit Satan » - doit se préparer à un combat long et difficile.

Même si ce n'est qu'une réaction simplement humaine, le choc et la douleur n'empêchent pas une petite voix de murmurer à certains d'entre nous, ici en Israël : « Au moins, maintenant, ils vont comprendre ce que nous subissons », ou : « Ils vont tous enfin nous soutenir ». Mais cette petite voix est extrêmement dangereuse. Elle pourrait nous faire oublier que, malgré le fondamentalisme musulman et le terrorisme arabe, rien ne justifie l'occupation persistante et l'oppression du peuple palestinien par Israël. Nous n'avons pas le droit de refuser aux Palestiniens leur droit naturel à l'autodétermination. Deux vastes océans n'ont pu protéger l'Amérique du terrorisme ; l'occupation de la Cisjordanie et Gaza n'assure pas la sécurité d'Israël ; au contraire, elle complique et rend plus difficile notre défense. Cesser cette occupation au plus tôt sera bénéfique tant aux occupants qu'aux occupés.

Il est aussi tentant qu'aisé de tomber dans toutes sortes de clichés racistes concernant la « mentalité musulmane », le « tempérament arabe » et autres insanités. L'atrocité commise contre New York et Washington nous rappelle avec acuité qu'il ne s'agit pas d'une guerre de religion ni d'une guerre entre nations. Il s'agit, une fois de plus, d'une bataille entre - des fanatiques, pour qui la fin, qu'elle soit religieuse, nationaliste ou idéologique, sanctifie les moyens, - et nous tous, qui attribuons un caractère sacré à la vie.

Les répugnantes manifestations de joie à Gaza et à Ramallah, alors que des gens étaient encore des torches vivantes à New York, ne doivent faire oublier à tout être humain digne de ce nom que la grande majorité des Arabes et des musulmans n'est pas complice de ce crime et ne s'en réjouit pas. La plupart d'entre eux sont choqués, attristés, comme le reste de l'humanité. Peut-être ont-ils d'ailleurs des raisons particulières d'inquiétude, car on entend déjà par endroits de vilaines expressions fourre-tout de sentiments antimusulmans. De tels sentiments ne constituent pas une réponse appropriée aux attentats récents - au contraire ils ne font que conforter les espérances de leurs auteurs.

Ne l'oublions pas : ni l'Occident, ni l'Islam, ni les Arabes ne sont le « Grand Satan ». Le « Grand Satan », ce sont la haine et le fanatisme. Ces deux maladies mentales ancestrales nous harcèlent encore aujourd'hui. Soyons vigilants, ne nous laissons pas contaminer.

Amos Oz, écrivain

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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !