Ariel Sharon et l'honneur d'Israël par Théo Klein

Le Monde, jeudi 6 septembre 2001, page 13

Ariel Sharon, si j'ai décidé de vous adresser publiquement, à vous, chef du gouvernement d'Israël, cette lettre par l'intermédiaire du Monde, c'est parce que je suis arrivé à la conclusion qu'il fallait dire haut et fort que la politique de réplique d'Israël a atteint son point extrême d'absurdité.

Il ne s'agit plus d'une politique - ce qui implique une pensée et un objectif reconnu possible mais d'une bagarre tragique où, malheureusement, toutes nos valeurs morales sont en train de sombrer.

Oui, cette action est absurde parce qu'elle ne fait qu'alimenter la passion et la haine, parce qu'elle mobilise la population palestinienne autour de ceux qu'elle considère, ainsi, comme ses combattants, et parce qu'elle entretient la population israélienne dans l'illusion d'une fausse sécurité.

Quand admettrez-vous que ce sont les tanks israéliens et les missiles qui agitent le vent d'une révolte alimentée chaque jour par les barrages, les fouilles, la méfiance systématique qui donne à nos voisins le sentiment d'être à tout instant, simplement parce qu'ils ne sont pas Israéliens, soupçonnés de terrorisme ? Comment ne comprenez-vous pas que c'est finalement aussi cette action dite sécuritaire qui finit, lorsqu'elle est menée au quotidien, par être un élément d'insécurité ?

Cette action compréhensible mais menée de manière insensée - obligatoirement brutale faute de moyens et d'hommes appropriés - n'a plus d'autre objectif qu'elle-même, et sa répétition fait lever chaque jour parmi la jeunesse une volonté encore plus exacerbée de combat et de sacrifice.

Comment, nous qui avons appris par la douleur et la souffrance à survivre contre la force brutale, aurions-nous oublié qu'un peuple ne se courbe jamais sans avoir combattu ? Vous, qui vous réclamez si fortement de la tradition juive, souvenez-vous des paroles de nos prophètes :

" Car ce n'est pas la force qui fait le vainqueur ", disait Samuel, alors que, quelques siècles plus tard, Zacharie proclamait : " Ni par la force ni par l'armée mais par l'esprit. "

C'est à vous, qui êtes à la tête d'un Etat - fort de son histoire et de la créativité de ses citoyens, - c'est à vous de faire le geste politique qui mette fin à l'engrenage sans perspective de la violence. Il vous incombe de prendre la difficile mais nécessaire initiative.

Stefan Zweig, déjà, écrivait : " Pour les esprits intelligents, le dénouement d'un conflit par les armes ne peut jamais être moral. "

Puis-je réaffirmer la conviction que j'ai eu le privilège de vous exprimer de vive voix, à la veille de votre élection : le premier pas à franchir, celui qui est à la fois une nécessité historique mais, sans doute, avant tout un impératif moral, c'est de reconnaître aux Palestiniens la liberté de proclamer leur Etat.

Il faut même aller plus loin et réclamer pour Israël le privilège d'être le premier Etat qui reconnaissse la légitimité de cet Etal de Palestine. Un Etat avec lequel Israël doit partager la terre commune.

C'est entre représentants autorisés de ces deux Etats que doit se négocier un cessez-le-feu et, plus tard, le tracé d'une frontière. La nation palestinienne est née d'un même élan que celui qui a permis la naissance de la nation israélienne. Mettre fin à cette lutte fratricide, qui oppose les deux hétitiers d'une même terre, ne peut se résoudre que dans un juste partage.

Jérusalem, vers laquelle nous n'avons jamais cessé de tourner nos regards et notre nostalgie, doit devenir le symbole d'un avenir partagé. Il faut arrêter cette confrontation aveugle et nourrie de sang, de douleurs et de haines.

Aujourd'hui, vous portez volontairement sur vos seules épaules la responsabllité suprême. Votre problème n'est pas de mesurer la crédibilité du chef des Palestiniens - c'est leur affaire. Votre devoir est de leur offrir, d'égal à égal, l'ouverture d'une ère nouvelle, celle où chacun des deux peuples, dans les frontières de son Etat, puisse vivre et se développer. L'honneur d'lsraël dont vous avez la charge doit être d'offrir la paix sans la soumettre ni l'abandonner au bon vouloir des extrémistes.

Et le terrorisme, me direz-vous ? Il ne peut être combattu, vous le savez, qu'à l'intérieur de chaque peuple - dès lors que celui-ci ne peut plus le considérer comme une forme de combat. Si le peuple le soutient, le terroriste devient un combattant.

Allons, vous le savez bien, imposer le retour total " au calme absolu pendant sept jours " à une autorité palestinienne dont les structures policières ont été détruites nécessite que vous reconnaissiez l'Etat dont elle doit être l'émanation.

Ce rôle historique que la démocratie israélienne vous impose, vous ne pouvez l'assumer qu'en prenant conscience de ce que la décision ne peut dépendre que de vous seul.

Vous le savez, vous me l'avez répété : ce ne sont ni les tanks ni les missiles qui apporteront la solution à ce conflit mortifère gorgé de peurs et de haines. Vous n'êtes plus le général audacieux. Vous ne traverserez pas une seconde fois le canal de Suez ! Aujourd'hui, Ariel Sharon, vous êtes en charge de l'histoire d'lsraël; c'est son honneur qui est en jeu. Abattez le mur de la haine, renversez les barrières du refus, allez offrir au peuple palestinien, au nom du peuple d'Israël, le pain et le sel de la paix et du bon voisinage.

Oui, je le reconnais, mes propos n'ont pas l'apparente solidité d'une action militaire. Ils comportent le risque d'être incompris, mais toute l'histoire de l'humanité nous enseigne que seule l'intelligence peut vaincre la violence. Soyez ferme et courageux.

Théo Klein est avocat, président d'honneur du Conseil représentatif
des institutions juives de France (CRIF).

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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !