Editorial le Monde , 5 septembre 2001 : l'échec à Durban

Ce devait être un moment de réflexion : l'occasion d'un retour sur l'Histoire, les traumatismes du passé (colonialisme et esclavagisme), et d'un regard sur les pathologies du présent (persistance du racisme). Le Nord et le Sud devaient se parler. C'est un échec. Une armée d'ONG plus ou moins connues, appuyée par les Etats arabes et les représentants des Palestiniens, ont détourné la Conférence de l'ONU contre le racisme réunie à Durban. Ce groupe-là, dans une déclaration informelle comme dans le projet de déclaration finale, entend imposer une rhétorique faite de contre-vérités outrancières véhiculant un message aussi faux que dangereux : assimiler le conflit du Proche-Orient à une bataille raciale (avec les Israéliens, bien sûr, dans le rôle des racistes). Venant d'Etats arabes qui, en matière de droits de l'homme, n'ont de leçon à donner à personne, la manoeuvre est un concentré d'absurdité et d'hypocrisie.

Absurde parce qu'elle ne sert en rien la cause de la lutte contre le racisme, mal multiforme, présent au Sud comme au Nord. Hypocrite parce que cette démonisation absolue d'Israël dans un forum qui, de la Tchétchénie au Tibet, des Kurdes à telle ou telle autre minorité, n'a rien à dire, est proprement surréaliste. Les grandes ONG - d'Amnesty international à Human Rights Watch, en passant par la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme - ont bien fait de s'en dissocier. Les délégations américaine et israélienne en ont tiré, lundi 3 septembre, la conclusion qu'elles n'avaient plus rien à faire à Durban. Elles sont parties sans même attendre une déclaration finale prévue pour vendredi.

Qualifier ce détournement de conférence de déplorable n'est pas suffisant. Il accentue un peu plus un fossé de perception entre le Nord et le Sud sur la question des droits de l'homme. La Conférence de Durban, réunie à la suite d'un vote de l'Assemblée générale des Nations unies, est d'abord une conférence intergouvernementale. Et entre les gouvernements du Nord et du Sud, le contentieux grandit, comme une ligne de fracture d'après guerre froide sans cesse plus importante.

Il y a les non-dits de Durban. Le Nord, qui s'est à peine déplacé et qui susurre à l'adresse du Sud: vos régimes ne sont pas assez propres pour nous renvoyer notre passé (colonialiste ou esclavagiste) à la figure. Et le Sud qui, dans un souffle, suggère: votre passé (le même) ne vous autorise pas à nous donner des leçons de morale pour aujourd'hui.

Ce conflit-là, on le retrouve dans nombre d'enceintes internationales où les interventions du Nord sur la question des droits de l'homme en général passent au Sud pour de l'ingérence néocolonialiste. C'est vrai à l'ONU, quand le Sud réaffirme le principe sacré de la souveraineté des Etats. C'est vrai à l'OMC, quand le Sud refuse de se faire imposer des normes sociales par le Nord. Cette incompréhension-là, Durban l'a, hélas, exacerbée au lieu de l'apaiser.

  Le Monde, 5 septembre 2001.

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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !