Le sionisme face à ses détracteurs

Colloque organisé par l'Alliance Israélite Universelle

le dimanche 13 octobre 2002 à Paris.

Liste des intervenants

  • Mikhaïl Bar-Zvi, professeur de philosophie à l'Université de Tel Aviv, auteur d'une "Histoire de l'Irgoun".
  • Georges Bensoussan, historien, rédacteur en chef de la "Revue d'Histoire de la Shoah", auteur de "Une histoire politique et intellectuelle du sionisme, 19ème-20ème siècles" (Fayard)
  • Frédéric Encel, géopoliticien, professeur à l'Institut d'Etudes Politiques, auteur de "Géopolitique de l'Apocalypse" (Flammarion).
  • Alain Finkielkraut, écrivain, philosophe, auteur de "L'imparfait du présent" (Gallimard).
  • Pauk Giniewski, écrivain, historien, auteur de "L'antijudaïsme chrétien".
  • Gérard Rabinovitch, chercheur au CNRS, auteur de "Le sourire d'Isaac", (Mango-Doc).
  • Daniel Sibony, psychanalyste, professeur des Universités, auteur de "Nom de Dieu" (Seuil).
  • Jacques Tarnero, chercheur au CNRS, co-auteur de "Parce qu'Israël", long métrage documentaire sur la délégitimation d'Israël.
  • Schmuel Trigano, professeur des Universités, auteur de "L'ébranlement d'Israël, philosophie de l'histoire juive", (Seuil).

Sommaire



Préambule

Quelques membres du Cercle Bernard Lazare - Grenoble (CBL) ont assisté, le dimanche 13 octobre 2002 au colloque organisé par l'Alliance Israélite Universelle : Le sionisme face à ses détracteurs .

Nous vous proposons ici un résumé des interventions de cette journée, accompagné des réflexions que ces interventions nous inspirent.

Mais commençons d'abord par expliquer notre état d'esprit de militants et d'auditeurs. Nous avons d'abord été frappés par l'affluence énorme, due, certes, à la présence de ténors, mais aussi à l'inquiétude et au désarroi devant la déferlante anti-israélienne qui atteint aussi la communauté juive. Le 21 avril 2002, les Français ont exprimé leur rejet d'une politique aveugle aux difficultés d'une population qui, ici ou là, n'est plus défendue par la République. Cet avertissement n'a pas été compris par ceux-là mêmes qui prétendent défendre les Droits de l'Homme. Les manifestations contre les agressions subies par les Juifs ont été qualifiées de réactions communautaristes. Le CBL est, et a toujours été, sioniste. Pour nous, cet adjectif n'est pas une injure, mais l'expression d'une identité et la reconnaissance d'une utopie réussie, même si nos opinions politiques ne sont pas toujours, loin de là, alignées sur la politique des dirigeants israéliens.

  • Nous condamnons la délégitimation d'Israël, délégitimation qui trouve un alibi dans l'incapacité de ses dirigeants successifs à établir une paix juste avec les Palestiniens.
  • Nous condamnons ceux qui soutiennent le terrorisme, et particulièrement la destruction de l'âme palestinienne dans les attentats suicides. L'islamisme radical est un avatar du fascisme, et ses appels au meurtre des Juifs ne nous laissent pas indifférents, contrairement à ceux qui les tolèrent dans leurs manifestations.
  • Nous soutenons tous ceux qui, chez les Israéliens comme chez les Palestiniens, veulent vraiment construire un Etat palestinien aux côtés d'Israël, ce qui implique des concessions de part et d'autre.

Schmuel Trigano : Présentation du colloque

Schmuel Trigano introduit le colloque en dénonçant un discours antisioniste stupéfiant. Même si la légalité d'Israël n'est pas encore contestée, sa légitimité l'est. Israël est mis au ban intellectuellement (en usant des termes colonialisme, apartheid - qui sont inappropriés), avant de l'être physiquement (boycott). Cette détraction vise directement les Juifs, qu'ils soient solidaires ou non de l'Etat d'Israël.

Mais un débat virulent existe également à l'intérieur du monde juif : post-sionistes en Israël, antisionistes ici rejoignent parfois les discours d'un Occident qui dénonce le communautarisme, et d'un arabo-islamisme qui n'accepte que les juifs dhimmis.

Il s'agit donc ici, pour les Juifs de la diaspora, d'abandonner les oripeaux du " paria ", de réparer les défaillances de l'émancipation qui les rejette en tant que peuple, et de maîtriser leur histoire à venir.

Notre commentaire : Faut-il enfermer tous les détracteurs d'Israël dans le camp des antisémites ? Sommes-nous uniquement entourés d'ennemis ? Nous pensons qu'il est nécessaire de s'interroger sur la politique d'occupation menée dans les "Territoires" et de ses conséquences sur l'avenir d'Israël.


Jacques Tarnero : L'antisionisme, version progressiste de la haine des Juifs

Jacques Tarnero évoque l'idéologie de l'antisionisme, à travers Saramago, Toni Negri, Dario Fo, assimilant les israéliens aux nazis.

Il distingue trois étapes dans la constitution de l'identité nationale juive :

  1. une étape historique, qui correspond aux différentes communautés juives installées en Palestine (Yishouv)
  2. une étape politique, à partir de Theodor Herzl.
  3. une étape idéologique, postulant la centralité d'Israël.

Il rappelle que les Juifs ont toutes les caractéristiques d'un peuple, destin, langue, terre, humour et cuisine, et du même coup, la légitimité de l'existence en tant que peuple. Mais il s'interroge : comment est-on passé de la situation d'après guerre où les Juifs étaient " le bien " et les nazis " le mal " à l'équation " Juifs = nazis " ? Comment la victime juive se réincarne-t-elle dans l'Algérien ou le Palestinien ? Un moment clé de cette transition serait 1968, où les brigades rouges, terroristes d'extrême gauche, séparent, à Entebbe, les otages juifs des autres otages qu'ils libèrent. Joshka Fisher, présent à Tel Aviv lors de l'attentat du Dolphinarium le 1er juin 2001, saisit l'occasion pour déclarer qu'il avait enfin compris, au moment d'Entebbe, que l'Allemagne de sa jeunesse avait reproduit le schéma nazi.

Jacques Tarnéro évoque ensuite quelques exemples à l'appui de sa thèse, selon laquelle Israël, loin d'être assimilable au nazisme, continue d'en être la victime.

  1. L'épisode Faurisson. Si la légitimité d'Israël repose sur les chambres à gaz, et que celles-ci n'ont pas existé, alors Israël est illégitime.
  2. La déclaration de l'UNESCO du 10 novembre 1975 assimilant le sionisme au racisme.
  3. Sabra et Chatila, où les Phalanges Chrétiennes sont remplacées par Sharon en tant que coupables des exactions.
  4. Le procès de Garaudy et le soutien de l'Abbé Pierre
  5. La publication du livre de Finkelstein dénonçant le shoah business
  6. La conférence de Durban
  7. La Lybie qui va diriger la commission des Droits de l'Homme à Genève.

Notre commentaire : Un bon rappel pour ceux qui oublient vite. Toutefois, les Occidentaux n'ont pas cautionné Durban, et les Africains ont également dénoncé le racisme dont ils ont été victimes de la part des Arabes. Le 11 septembre 2001 à gommé cela des mémoires. Par ailleurs, faut-il vraiment considérer que 1968 a été une date charnière permettant d'expliquer le basculement de la gauche dans l'antisionisme ?


Georges Bensoussan : Le sionisme, du mythe à la réalité historique

Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde . Georges Bensoussan fait sienne cette forte parole d'Albert Camus et dénonce les mythes qui diabolisent mais qui parfois aussi encensent le sionisme ; il se fonde sur une recherche historique rigoureuse dont son ouvrage, paru chez Fayard en février 2002 : Une histoire intellectuelle et politique du sionisme, est le témoignage.

Se contenter comme souvent d'opposer en miroir deux histoires " victimaires " ne favorise en rien l'évolution des esprits, seule condition d'une paix possible. Se contenter de revendiquer ses droits, c'est, le plus souvent, nier la souffrance de l'Autre ; ici comme ailleurs, la concurrence des victimes est déplorable. Alors qu'en réalité s'affrontent ici deux mouvements d'émancipation nationale.

  • Non, l'Histoire du sionisme n'a pas commencé en 1948, pas plus qu'elle n'aurait commencé au 17ème siècle ou mieux encore à la sortie d'Egypte !
  • Ce n'est pas la Shoah qui a créé Israël ; cet état préexistait, dans des institutions déjà fortes, avant même sa proclamation ; la Shoah a failli, au contraire, détruire Israël. Une telle erreur favorise également la confusion volontaire entre la Shoah et la "Nakba". Il faut enfin tordre le cou à ce lieu commun de l'innocence totale des Arabes dans le génocide des Juifs : la diffusion ancienne des Protocoles en est un contre exemple, parmi d'autres. La complicité de leurs dirigeants avec Hitler est connue.
  • Non, le sionisme n'est pas un mouvement théocratique ; tout au contraire c'est un mouvement de "décolonisation de l'être juif ", un produit des Lumières (Haskala), une rupture avec le Talmud. Les Sionistes en Europe ont dû affronter les religieux.
  • Non le sionisme n'est pas simplement le fruit de l'antisémitisme qui aurait été révélé à Herzl lors de la dégradation du Capitaine Dreyfus ; sinon, ce sont les malheurs passés (Massacres de la Vallée du Rhin, Peste Noire, Expulsion d'Espagne, Chelmnicki en Ukraine) qui l'auraient produit. Les victimes de l'antisémitisme partaient en Occident ; seuls deux pour cent rejoignaient la Terre Sainte qu'ils quittaient souvent par la suite.
  • L'esprit pionnier ne suffit pas non plus à définir le sionisme :
    1. l'hébreu n'a jamais été une langue morte.
    2. le kibboutz n'est pas une invention strictement originale : il fut inspiré par la colonisation des terres slaves.
    3. l'Alya n'est pas le seul fondement d'Israël : pour preuve, la deuxième Alya : 40 000 personnes sont arrivées, 30 000 sont reparties.
    4. La Diaspora ne disparaît pas du fait d'Israël ; c'est l'inverse : Israël permet aux Juifs de la diaspora d'être juifs sans recourir à la foi.
  • D'autres idées fausses encore, qui concernent les Arabes et sont souvent exploitées :
  • Israël, Etat colonial ou colonialiste ? - Non : aucune amélioration matérielle n'a été recherchée ni obtenue par les pionniers (malaria, suicides les frappèrent souvent.) Contrairement à la légende, les Juifs n'ont jamais été aveugles à la présence arabe qui, au contraire, les obsédait ; la question cachée était lancinante. Sur ce point encore, même s'il n'y a pas eu des achats massifs de terres par les Juifs (en fait, ce sont plutôt les Arabes qui voulaient vendre), ces derniers ont été dépossédés, mais beaucoup moins qu'ils le disent.
  • Autre mythe : celui de l'idylle judéo-arabe des débuts, laquelle n'est pas plus vraie que l'indifférence arabe des débuts à la présence juive : dès 1882, l'hostilité est manifeste. Les Arabes s'attaquaient au vieux Yishouv sépharade. Dire qu'ils voulaient négocier est tout aussi inexact : comme les Anglais, toujours pleins d'humour, le disaient : " les Arabes veulent tout ; le reste est négociable ! " Ajoutons, (pour faire encore dans l'humour !) que le " transfert " est bien une idée anglaise et non une idée juive. Les Juifs auraient chassé les Arabes des villes ? Non ; leur présence s'est accrue du fait de la présence juive. Une seule ville a été créée par les Arabes : Ramlé (à ne pas confondre avec Ramallah)
  • Enfin, n'oublions pas que " la Palestine historique " a déjà été amputée de près des 3/4 de sa superficie par le partage anglais de 1922 visant à créer le royaume hachémite de Transjordanie. Autrement dit, que la Palestine mandataire n'est qu'un reliquat de la " patrie historique " dite Eretz Israël. Par conséquent les Israéliens d'aujourd'hui ne possèdent pas 80% de la Palestine mais une portion infiniment moindre. Il est donc temps de se défaire de ces mythes pieux et destructeurs de part et d'autre, afin de construire l'avenir sur une histoire vraie.
  • Le peuple juif, enfin, refuse d'être " parlé par les autres " ; le sionisme ne tire sa légitimité que de la volonté des Juifs de construire leur pays et d'affirmer leur existence nationale. Les Juifs n'habitent pas simplement et concrètement cette Terre, ils sont aussi, spirituellement, habités par elle.

Notre commentaire : Un discours fort et courageux : on peut être sioniste sans se mentir à soi-même, sans intérioriser la haine de l'autre (aux deux sens du terme). Le mythe est surtout un discours de protection illusoire contre l'agression qui ne fait en rien avancer la cause du sionisme.


Mikhaïl Bar-Zvi

Mikhaïl Bar-Zvi rappelle que le sionisme est une cause morale et spirituelle ; il évoque l'épisode biblique des " Espions " ou " explorateurs " (Nombres) qui " médisent " sur Israël : " Une Terre qui dévore ses habitants ", comme s'ils avaient eu peur de leur Amour de la Terre ; et Dieu, dans une " colère pédagogique " les contraint à l'exil, lequel est au coeur de chaque Juif et de tout homme. Israël serait donc surtout la demeure de nos origines et de notre avenir. Même si le mot " Alya " est le dernier mot de la Bible, le retour n'est pas forcément un remède à l'exil ; mais il faut utiliser sa souffrance pour construire et intégrer son destin personnel à un destin collectif. Les Juifs ont plus un " devoir " sur la Terre qu'un " droit " à la Terre. Notre commentaire : une méditation philosophico - religieuse inspirée par Emmanuel Lévinas.


Frédéric Encel : Le sionisme et l'Etat d'Israël dans la légalité internationale.

Frédéric Encel brosse une histoire du droit international.

  1. Il commence par l'article 1 de la charte des Nations Unies qui stipule " le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes "
  2. Mais il n'y a pas de texte en droit international qui légitime le peuple français par exemple ou le peuple américain. Si on reconnaissait aux Juifs le droit de se déclarer un peuple, on ferait une discrimination. Il n'y a aucun texte qui dise : " Vous, vous avez droit à un état ". Le problème, pour les Juifs, c'est de savoir par où commencer : s'agit-il de commencer par Juif - religion ou Juif - peuple ? C'est l'histoire de l'oeuf et de la poule : qu'est-ce qui a commencé ?
  3. La réalité historique, c'est que pendant 1000 ans il y a un proto - Etat Nation dirigé par les Hébreux, avec David comme fondateur. Il y a donc l'histoire d'un état.
  4. Au XIXème siècle, époque des nationalismes européens, on assiste à un nationalisme classique avec Herzl.
  5. Mais on ne peut pas parler de colonialisme à propos des pionniers sionistes car leur but n'était pas de " faire suer le burnous " ni même d'améliorer leur existence comme c'est le cas de tous les colonialistes.
  6. En 1917 la déclaration Balfour reconnaît un Foyer National pour le peuple Juif. C'est donc reconnaître un peuple Juif.
  7. En 1922 la Société des Nations donne mandat aux Britanniques sur la Palestine en attendant que les autochtones se dirigent eux-mêmes. La Palestine fait partie d'un ensemble d'états dans le monde qui reçoivent des frontières " coloniales " : l'essentiel des états aujourd'hui en Afrique dispose de frontières issues du colonialisme. Pourquoi Israël ne pourrait-il pas être sur le même plan ?
  8. En 1947 c'est la fin du mandat britannique. Les Nations Unies votent (au 2/3 des voix) deux états : Juif et Arabe. Les états arabes refusent cette partition : ils ne veulent pas créer un état palestinien. Et la Jordanie annexe ce qui était prévu pour la Palestine.
  9. En 1967 on a affaire à un casus belli avec l'entrave à la libre circulation de bâtiments tiers (blocus du détroit de Tiran par Nasser). C'est la guerre des 6 jours. Puis la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l'ONU demande la retrait des (ou de ?) territoires occupés. Nouvelle guerre en 1973 : la guerre de Kippour
  10. Evolution actuelle : le 10 novembre 1975 le sionisme est assimilé à un racisme dans la déclaration de l'UNESCO, rejetée le 10 décembre 1991.

Notre commentaire : le regard du juriste est important : contrairement à ce qui est souvent affirmé, c'est bien Israël qui a respecté les décisions internationales, même lorsqu'elles lui étaient défavorables ; le Droit n'a pas le droit de décider de la définition qu'un peuple donne de lui même.


Paul Giniewski

Paul Giniewski rappelle :

1. Un sondage d'opinion selon lequel la population française croit majoritairement que la Palestine était, avant l'arrivée des Juifs rescapés de la Shoah, un pays arabe souverain dont les Juifs les auraient chassés.

2. Le refus, dans la Charte de l'OLP, tant de la légalité que de la légitimité d'Israël. Et pourtant cette " détraction " n'a pas toujours existé ; il y a même, et c'est l'objet de son exposé,

  • des sionistes non juifs !
  • un courant arabe sioniste !

Depuis le 14ème siècle, il y a eu de nombreuses de tentatives de fonder un Etat Juif : le Pape Clément VII, le Roi du Portugal, Rousseau, Le Directoire, Napoléon, Fourier, Napoléon III, H. Dunant, Lamartine, A. Smith ..., jusqu'à la Déclaration Cambon, équivalent français de la Déclaration Balfour, même si personne ne la connaît !

Plus récemment de nombreux pays reconnaissent la légitimité de la reconstruction d'un pays pour les Juifs et même sous le mandat britannique, les Arabes n'avaient que des droits civils et religieux alors que les Juifs avaient des droits politiques et nationaux. Une des tendances du nationalisme arabe a accepté le partage. Pourquoi ? Les Juifs et les Arabes avaient un intérêt commun contre les Turcs. S'ensuit une idylle authentique entre l'Emir Fayçal et Félix Frankfurter...

Lawrence d'Arabie favorise le sionisme au nom de l'intérêt de l'arabisme ! Pourquoi cette tendance a-t-elle échoué ? Le nationalisme arabe n'ayant plus besoin du nationalisme juif, il l'a laissé tomber.

La paix, conclut l'orateur, se fera quand les kalachnikovs et les ceintures d'explosifs seront dans les vitrines des Musées.

Notre commentaire : On s'attendait à tout et même, osons le dire " pire encore " ! mais pas à ces " belles histoires ", qui permettent de garder l'espoir que l'Histoire n'est pas toujours une catastrophe.


Daniel Sibony : Psychologie de l'antisionisme.

Imaginez l'histoire d'un écrivain qui acquiert une grande notoriété pour un livre dont il a en réalité tout simplement recopié de nombreux passages sur le livre d'un de ses collègues plus ancien, - livre qui, lui, n'avait pas fait le même tabac -.Le jour de la sortie de son best-seller, cet écrivain consacré va-t-il avoir envie d'inviter à son cocktail celui dont il a pillé de nombreux passages? Si l'autre veut venir à son cocktail, ça va déchaîner sa rage.

Eh bien, le best-seller, c'était le Coran. Et le livre pillé, c'était la Bible.

Cette histoire soulève le problème de l'acceptation de l'origine. Il y a une souffrance musulmane d'être forcé de haïr ceux dont on est issu. Daniel Sibony insiste sur la nécessité de replacer les trois monothéismes dans l'ordre chronologique. Le christianisme, lui, a mis vingt siècles à accepter à peu près sa paternité hébraïque. Aujourd'hui, du fait de l'incroyance, les énoncés religieux n'appartiennent plus aux seuls religieux mais redeviennent l'expression du symbolisme essentiel de l'humain. Pour un psychanalyste, un homme est un " animal symbolique " et Dieu est une question trop sérieuse pour être laissée aux seuls religieux.

La problématique de Daniel Sibony consiste à établir une analogie entre l'individu et le collectif : la découverte originelle et première de Dieu dérange ceux qui ont des problèmes d'identité et qui ne peuvent accepter d'être " l'entre-deux Père - Mère. " Daniel Sibony raconte avec jubilation l'histoire d'un patient curé qui lui a dit subitement : " vous êtes un sale Juif " , le psychanalyste étant perçu comme un obstacle à son lien direct (en tant que prêtre) avec Dieu. Il voudrait être directement issu de Dieu sans lien avec une femme, ni mère ni épouse. Or le psychanalyste a pour fonction de réconcilier l'homme avec sa mère et cette réconciliation douloureuse était rejetée par le prêtre. Il s'agit donc de rendre le psychanalyste juif responsable de cette faille.

Pour Daniel Sibony, le problème israélo-palestinien va au-delà du politique : l'islamisation du problème est une donnée plus essentielle. Une entité juive est une aberration pour le Coran où tous les personnages de la Bible deviennent musulmans. Il y a une souffrance musulmane de savoir que le Coran vient de la Bible : les Musulmans sont donc forcés de haïr les gens dont ils refusent d'être issus. Et c'est le peuple palestinien qui est sacrifié pour signifier le refus musulman des Juifs. Or, avec le sionisme, il y a réapparition des Juifs sur la scène de l'histoire, alors que les pays musulmans auparavant les supportaient en tant qu'opprimés, c'est à dire incapables de se défendre.

L'histoire pose le problème en termes politiques et non plus religieux et révèle l'usurpation musulmane de la culture juive. Avouer qu'on a volé n'est pas une chose aisée (se reporter à la petite histoire du début de la conférence.)

Notre commentaire : Malgré le sérieux du sujet, Daniel Sibony a réussi à faire rire le public tout au long de son exposé, par ailleurs très éclairant sur les délires actuels d'un certain Islam et sur l'antiféminisme musulman.

Mais cette problématique essentialiste a tendance à figer les antagonismes : n'y a-t-il pas dans la société musulmane des courants plus ouverts et même laïques ?


Shmuel Trigano : Derrière le sionisme, la légitimité du peuple juif

La modernité politique refuse de considérer les Juifs, depuis leur émancipation, comme un peuple, mais les opprime en tant que peuple : en faisant l'apologie de la condition victimaire, elle occulte la figure du Juif politiquement libre, en introduisant et retournant l'argumentation humanitaire (d'abord pour les Juifs victimes après la Shoah, ensuite contre eux à propos du conflit avec les Palestiniens).

Les émancipateurs, (Abbé Grégoire), ont voulu libérer les Juifs du judaïsme et en faire des individus abstraits : " Les Juifs sont des hommes comme nous, ils le sont avant d'être juifs .

On retrouverait cette même idée chez Sartre ; le Juif est juif par le regard de l'autre. Telle est la défaillance de l'idéal démocratique à l'épreuve de la réalité de l'existence juive comme nation.

Au 19ème siècle, la construction des nations semble être le produit paradoxal de l'émancipation des individus ; ce qui arrive aux Juifs arrive à tous les Européens : le 18ème siècle individualise les hommes ; le 19ème siècle les re-nationalise.

S'ajoute " l'auto-émancipation " nationale (Pinsker) qui va ébranler l'émancipation de l'individu (Haskala, Mendelssohn) ; en se constituant, le sionisme calque l'existence des Juifs sur le modèle de l'Etat-Nation.

La modernité porte ainsi ses propres contradictions. La Shoah révèle cette défaillance de la modernité dont l'antisémitisme n'est pas un accident mais un produit.

Nouvelle complexité : aujourd'hui, l'identification de la communauté juive au sionisme c'est la charte de la réintégration des Juifs dans la démocratie, Israël étant un Etat comme les autres ! Quant aux gauchistes ex-ennemis de la démocratie reconvertis en démocrates vertueux c'est au nom du " droit de l'hommisme " qu'ils dénoncent l'immoralité israélienne.

Depuis dix ans, les Todorov, Chaumont, Courtois, Broszat, récusent l'unicité de la Shoah en comparant le nazisme au stalinisme et annoncent l'antisionisme actuel. Le plus stupéfiant c'est que cette idéologie anime aussi les Nouveaux Historiens israéliens : faisant preuve de naïveté politique, appelant Israël à être l'Etat post moderne de tous ses citoyens, ils retournent sur les Juifs les conséquences de la Shoah. Or Israël passerait ainsi très vite sous la loi de la Charia, pour avoir été tenté par la post modernité.

Tel est le tourbillon idéologique qui une fois de plus, fait d'Israël la victime sacrificielle et éternelle, l'obstacle au nouvel ordre international, lorsque la démocratie cherche son salut en s'aveuglant sur ses propres impasses, après s'être substituée au communisme défunt.

Notre commentaire : Exposé montrant les contradictions internes de la modernité que les Juifs intègrent tout en en étant les victimes.

Sartre à notre sens a été simplifié : c'est bien lui qui, au centre de ses Réflexions sur la Question Juive, critique le "démocrate", nouveau négateur d'une existence juive autonome.

Quant aux Nouveaux Historiens israéliens, sont-ils comptables de l'exploitation qui est faite de leurs " révélations " ? Ilan Greilsammer écrit, dans " La nouvelle histoire d'Israël, essai sur une identité nationale " (Gallimard, 1998) : L'Etat d'Israël va avoir cinquante ans ; c'est l'âge mûr. Un âge où on peut raisonnablement se poser des questions profondes et douloureuses sans pour cela remettre en cause sa propre existence ni faire preuve de manque de patriotisme.


Gérard Rabinovitch : Pourquoi le sionisme est-il une cause morale ?

Gérard Rabinovitch fait référence à l'ouvrage de Sigmund Freud écrit en 1929 Malaise dans la civilisation lequel montre l'aveuglement de la démocratie devant l'agressivité native de l'humain : le progrès a conclu un pacte avec la barbarie. Freud publie cet ouvrage au moment où, à Munich, Chamberlain dira : " tout se serait si bien passé si Hitler ne nous avait pas menti " !

C'est cette complaisance aveugle qui est ici dénoncée comme immoralité essentielle ; tandis que le sionisme est au contraire un mouvement qui s'inscrit dans la moralité, marqué par la permanente retenue vis à vis de la violence (Havlaga en hébreu). S'interroger sur les enjeux moraux du sionisme, ce n'est pas faire un inventaire à la Prévert sur ses bienfaits, c'est plutôt s'apercevoir que ce qui est vraiment inexplicable, ce n'est pas le Mal, c'est le Bien, qui continue à être recherché dans cette aventure tragique.

La banalité, au contraire, c'est le Mal, même si la pensée a des difficultés à l'identifier. S'énonce ensuite la litanie des malheurs, de Luther à Mahomet, de Proudhon aux Protocoles... L'antisionisme actuel n'est qu'un avatar de l'antisémitisme dans cette nouvelle version : depuis la Shoah, les Juifs sont coupables de ce qu'on ne peut plus les haïr ; les Israéliens doivent donc prendre le relai !

La seule morale aujourd'hui possible ne se situe pas dans l'idéal d'un Bien absolu, mais dans une éthique de la désillusion pragmatique où le Bien consiste surtout à n'être que le moindre Mal. Un nouvel internationalisme antisémite à fondement religieux relaie l'internationalisme antisémite et nazi ! deux constellations centrées sur le fantasme de la toute puissance.

Notre commentaire : Un exposé dense, dont nous faisons un résumé probablement réducteur, qui rappelle les théories d'André Glucksmann dans Le 11ème commandement , mais aussi les théories kantiennes.


Alain Finkielkraut : Le sionisme face à la religion de l'humanité

Alain Finkielkraut déplore qu'on ne fasse pas la distinction entre la critique du gouvernement israélien et la mise en cause de la légitimité d'Israël et dénonce un antisionisme qui se considère comme antifasciste et anticolonialiste.

Le XXème siècle est marqué par un regain de la radicalité politique laquelle, selon Hannah Arendt, oppose simplement deux forces : le " Bien " et le " Mal ". Ainsi la haine actuelle d'Israël est " inculpabilisable " puisque les Juifs ont trahi leur message : du camp du Bien (victimes) ils sont passés dans le camp du Mal (bourreaux) ; du même coup réapparaissent les vieux schémas antisémites (les Juifs veulent toujours être à part) même si en apparence les antisémites ne font que "reprocher aux Juifs de ne plus être Juifs".

Alain Finkielkraut évoque la journaliste italienne B. Spinelli qui affirme que seuls les Israéliens n'ont pas fait repentance, contrairement aux Occidentaux, mais elle oublie de dire que le devoir de mémoire exigé des Juifs est plus radical puisqu'il ne s'agirait pas de renier des actions passées (comme dans le cas de l'Eglise), mais présentes, et en temps réel. La religion de l'humanité consiste à se donner bonne conscience, à se croire autorisé à dire où est le Bien et où est le Mal, sans s'interroger sur ses propres failles.

Les slogans pleuvent ; par exemple Télérama : " Israël et l'Amérique se sont alliés pour écraser l'humanité " Face à cette haine qui nous accable, que faire ?

  • Ne rien concéder à l'antisémitisme mais rentrer en politique c'est à dire dans le domaine des choses changeantes, de l'indétermination qui rend l'action possible.
  • Ne rien concéder à la haine et ne pas abandonner notre agenda c'est à dire perdre son temps à se justifier devant des gens réfractaires à l'argumentation.
  • Que se passe-t-il en Israël ? Il n'y a pas de solution militaire au problème israélo-palestinien, pas plus qu'il n'y a de solution militaire au terrorisme.
  • Il faut donc faire de la politique contrairement à ce que font nos détracteurs et ne pas tomber dans le piège des simplifications.
  • Il y a des tendances positives chez les Palestiniens. Abou Mazen dit que l'Intifada est une catastrophe. On ne peut donc pas attendre l'extinction du terrorisme pour parler avec ceux des Arabes qui ont le courage de parler, comme l'avait voulu déjà Itzhak Rabin.

Notre commentaire : Que faire d'autre, effectivement ? L'attentisme ou l'accablement n'offrent aucune perspective.

Un discours de gauche, même si d'aucuns refusent à Alain Finkielkraut cette épithète. Au Cercle Bernard Lazare, nous n'avons pas de complexe à affirmer que les antisionistes ne représentent pas du tout la gauche lorsqu'ils tombent dans la "religion de l'humanité" dont l'antisémitisme est une des composantes.


Le débat

Certains membres du CBL-Paris ont critiqué l'absence de détracteurs auxquels les interventions répondaient

Les organisateurs (Shmuel Trigano) précisent : "ils auraient pu venir assister au colloque qui étaient ouvert à tous. Mais les Juifs et leurs amis ont besoin de réfléchir aussi entre eux pour comprendre ce qui leur arrive de nouveau aujourd'hui. Ils ne doivent pas reproduire à leur insu le " jeu de miroirs " et la fuite en avant où se complaisent leurs détracteurs. De la même manière que les Palestiniens ont du mal à penser leur histoire autrement qu'en termes copiés sur le malheur juif, de la même manière les Juifs ne doivent pas non plus se contenter d'être " pensés par les autres " et d'intérioriser les jugements destructeurs qui sont portés sur eux."

Notre commentaire

Un débat clair autour d'un colloque très utile pour lire les événements contemporains mais aussi bien anciens.
J. Wasserman disait déjà, dénonçant ce besoin de haïr : Quoi que le Juif fasse, c'est toujours ce qu'il ne faut pas faire. !


Notre conclusion provisoire

Précisons que nos résumés sont nécessairement des interprétations même si nous avons fait l'effort de rester aux plus près des paroles prononcées lors de cette journée dont les actes devraient être publiés intégralement d'ici un an.

Retenons de toutes ces interventions qui se rejoignent plus qu'elles ne divergent, un programme quasi kantien :

  • L'obligation de savoir ce qui est et ce qui fut pour prévoir ce qui peut advenir.
  • La nécessité d'agir avec une " prudence " philosophique.
  • Le devoir d'espérer. Sinon quoi d'autre ?, mais sans se faire trop d'illusions sur la nature de l'homme !
  • L'inquiétude demeure
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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !