Théo Klein : Israël Palestine, la simple vérité

Le Monde, jeudi 5 septembre 2002

Je me bats pour que la reconnaissance de la Palestine vienne du gouvernement d'Israël et ne soit pas imposée à son peuple par une pression extérieure. Oui, je le sais, seuls les Israéliens sont maîtres de leur destinée et, plus particulièrement encore, ceux qui affrontent la violence et sont soumis jour après jour à l'appréhension de l'attentat et à la douleur des morts. Eux seuls auront à décider. Eux seuls peuvent peser sur la décision de leurs dirigeants.

Mais dois-je, face à cette imparable réalité, me taire alors que je sens - bien plus : je vois - les dangers qui guettent le pays de mon espérance ; des dangers que, du fond de l'inextricable combat sauvage où ils sont plongés, ils n'identifient sans doute pas clairement. La non-assistance à personne en danger, cela s'est traduit, depuis des siècles, au sein de la grande famille juive, par le principe de la garantie réciproque ; nous sommes tous garants les uns des autres, coresponsables.

Je me sens directement atteint dans ma dignité lorsque Baruch Goldstein assassine, au nom de Dieu, paraît-il, des musulmans qui prient le même Dieu, mais sous un nom différent. Je me sens responsable des maisons de terroristes que l'on détruit, sauf lorsque le terroriste est juif. Je me sens insulté par les furieux d'Hébron, dans leur mépris pour leurs voisins palestiniens. N'est-ce pas une même terre que nous aimons eux et nous ?

Alors je me sens le droit de m'adresser à ceux de ma grande famille qui siègent à Sion et de leur crier : "Savez-vous où vous allez ?" Oui, nous avons le droit - et même le devoir - de combattre Amalek, figure biblique de la sournoiserie sauvage et, notamment, lorsqu'il prend le visage hideux et déshonorant de l'attentat-suicide. Mais veillons à ce qu'Amalek ne soit pas en nous. Trop souvent, la violence nous saisit ; elle a pris la place de l'intelligence et de l'espérance.

Pourtant, l'incessant carrousel attentats-représailles, l'inexorable litanie des morts et des blessés tournent et s'enroulent autour d'une seule question essentielle et décisive : les Palestiniens ont-ils un droit égal à celui des Israéliens de vivre sur une partie de cette terre commune pour être à leur tour un peuple digne, libre, saluant son drapeau et élisant ses dirigeants ? Pour vous comme pour moi, la réponse est : oui. Nous savons non seulement qu'il n'y a pas d'autre solution digne de notre passé comme des valeurs dont nous nous voulons porteurs, mais nous savons aussi qu'elle seule peut inscrire Israël dans le Proche-Orient auquel il appartient.

Contre cette évidence se dressent les slogans provocateurs des fondamentalistes des deux bords. "Les Palestiniens veulent nous chasser de la terre d'Israël. Oslo n'était qu'une étape", crient les uns. A quoi les autres répliquent : "Les Juifs veulent chasser les Arabes de cette terre musulmane et rebâtir leur Temple à la place des mosquées du Rocher et Al-Aqsa." Ainsi les nationalistes s'accusent réciproquement de leurs obsessions communes dans une passion meurtrière où s'affrontent également le messianisme, d'une part, et l'islamisme suicidaire, d'autre part.

Nous ont-ils dit un jour, ces partisans du Grand Israël, ce qu'ils allaient faire des Palestiniens arabes que pendant trente ans ils ont voulu ignorer. Les ghettoïser ? Les déporter ? La vérité est plus simple, et la plupart d'entre les Israéliens le savent bien : l'Etat de Palestine existe déjà. C'est la virtualité la plus évidente de notre décennie. Il est là, face aux chars, au-delà des check-points, il entoure les implantations qui veulent le nier, alors qu'elles engendrent sa rage d'exister. L'Etat de Palestine attend qu'Israël le reconnaisse et les nations du monde s'impatientent mais respectent encore le mutisme politique du gouvernement israélien.

Ce pour quoi je me bats - hélas !, seulement avec des mots -, c'est pour que cette reconnaissance vienne du gouvernement d'Israël et ne soit pas imposée à son peuple par une pression extérieure. Israël est un pays fort. Israël a su se construire, élever et raffermir ses potentialités, malgré les conflits, les guerres et les refus du monde arabe. Israël joue un rôle positif dans ce qu'on appelle le concert des nations ; souvent admiré, quelquefois jalousé, c'est un modèle de développement, parfois, pour les nations à la recherche de leur avenir.

C'est une dramatique erreur que font tant de juifs dans le monde, et tant d'Israéliens, que de croire à l'isolement. Non, "ils" ne sont pas "tous contre nous" ! Ce slogan dévastateur a déjà fait trop de victimes. C'est nous qui, trop souvent, à la première réflexion, au premier geste hostile, nous replions sur nous-mêmes et nous enfermons dans les schémas anciens, ceux des temps de l'exclusion et du mépris. Aujourd'hui, nous sommes citoyens d'un monde où la xénophobie, la crainte du voisin, souvent la haine de l'autre sont la faiblesse commune de tous les hommes, et les sociétés les plus avancées sont celles qui s'emploient à harmoniser les relations humaines. Nous faisons partie de ces sociétés-là. Nous avons largement contribué à les inspirer, sinon à les établir. Toute notre histoire, notre incroyable survie témoignent que nous savons malgré tout, et contre tout, faire revivre la vie.

"Choisir la vie", n'est-ce pas la plus belle leçon que Moïse nous ait léguée ? Alors, amis qui vivez, qui luttez et qui souffrez sur la terre d'Israël, arrêtez la marche du temps entre le Nouvel An (Roch Hachana) et le Grand Pardon (Kippour). Interrogez-vous. Faites votre examen de conscience. Demandez-vous si vous avez vraiment regardé ce peuple qui est parmi vous, ces Palestiniens, habitants de notre terre commune, qui sont faibles, appauvris, sans travail trop souvent, soumis à une incessante suspicion, arrêtés, fouillés, bloqués, renvoyés, humiliés. Nous avons connu ces temps-là ; ces mesures, nous les jugions déshonorantes.

Trop longtemps enfermés dans la politique de refus de l'Oumma (communauté des croyants) arabe, les Palestiniens ont enfin pris la parole. Mais l'OLP n'a pas cherché à construire ce peuple. Elle s'est enfermée à son tour dans le refus. Au lieu de bâtir, elle n'a cherché qu'à détruire. Elle a choisi un terrorisme qui frappe ceux qui ne peuvent se défendre. Seule la première Intifada aura été la tentative des Palestiniens de prendre leur avenir en main. Les hommes et les femmes de cette révolte sont encore là. C'est parmi eux que se sont éveillés les universitaires, les intellectuels qui ont pris publiquement la parole pour reconnaître le droit à l'existence d'Israël et pour dire que les attentats-suicides déshonoraient le peuple palestinien.

Ces femmes et ces hommes ne sont pas les ennemis d'Israël. Ils veulent en être les voisins ; des voisins respectés, mais des voisins respectueux aussi. Il est temps de les écouter. Il est temps d'aller vers eux. Après tout, c'est bien Menahem Begin qui, dans les accords de Camp David-I, a reconnu "les droits légitimes des Palestiniens". Il est grand temps de donner à ces droits leur pleine expression. Nous devons aider les Israéliens et les Palestiniens à tracer la ligne de partage entre leurs deux souverainetés sur la terre brûlante où des hommes ont, à l'aube de l'humanité, reconnu qu'ils étaient semblables.

Non, décidément, ne nous enfermons pas dans des solidarités passionnelles. Ne sommes-nous pas parfois trop ouverts aux uns, trop souvent sourds et aveugles aux autres ? Chaque mort - qu'il soit des nôtres ou des leurs -, ce sont cent vies perdues. Juifs ou Arabes, femmes et hommes de tout bord soucieux de réflexion et de vraie volonté, aidons les Palestiniens et les Israéliens à se reconnaître enfin, à surmonter leurs peurs, à prendre les risques de la paix. Qu'ils trouvent le courage d'arrêter la violence aveugle ou ciblée pour l'amour de la vie et le respect d'eux-mêmes. Qui aura ce courage, et l'audace, et la fierté d'arrêter le premier la terrible indignité de ces vies saccagées ? Israéliens, Palestiniens, où en est l'espérance ?

Théo Klein est avocat, ancien président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF).

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Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !