par René Monzat, Ras l'Front, n° 93, avril-mai 2003
Une grave agression antisémite s'est déroulée à Paris en marge de la manif antiguerre du 22 mars dernier.
Que s'est-il passé ?
L'agression
Alors que le cortège emprunte le boulevard Beaumarchais, un
petit groupe court sur le trottoir, criant « où sont les juifs », s'en prenant
à des militants de l'association Hachomer Hatzaïr qui regardent passer
le cortège «à cause» de la kippa que porte l'un d'entre eux. Ils se replient
vers le local d'Hachomer à quelques dizaines de mètres dans la rue Saint Claude,
ou sont réunis 150 enfants et ados de 6 à 16 ans.
Les agresseurs les suivent, les attaquant à plusieurs reprises à coups de bâton.
Les incidents durent plusieurs minutes. Deux militants de 18 et 25 ans doivent
être hospitalisés.
Plusieurs incidents antisémites, moins graves, se sont déroulés en marge de
cortèges anti-guerre ou pour les droits des Palestiniens depuis plus d'un an.
Voir à ce sujet les articles de Karl Laské dans Libération.
Y a t-il eu attaque du Betar ou de la Ligue de Défense Juive ?
Le bruit a circulé qu'un commando du Betar ou de la LDJ (extrême droite sioniste) avait attaqué le cortège. Il est sans fondement. Le Betar est exsangue à Paris. Les commandos qui ont attaqué plusieurs réunions sont composés de membres de la Ligue de Défense Juive se réclamant du mouvement Kach, interdit en Israël pour racisme. Ils sont venus tourner autour d'autres manifs du même genre, mais pas de celle du 22 mars.
Qui sont les agressés ?
Des militants et militantes du mouvement sioniste de gauche Hachomer Hatzair.
Né il y a 90 ans en Galice, ce mouvement de jeunesse qui s'est longtemps réclamé
du marxisme. Il a fourni de nombreux cadres à l'extrême gauche ou à Shalom Archav
(la Paix Maintenant).
Il pense certes pis que pendre de l'OLP et de Yasser Arafat, mais n'a jamais
fait de concession sur le droit des Palestiniens à disposer d'un Etat et veut
que Jérusalem devienne la capitale des deux états .
Il participe à la « Coalition pour la paix » et mène campagne dans ce cadre
pour le retrait de l'armée israélienne des territoires occupés, et pour le
démantèlement des colonies. Il a participé à la manifestation anti Le Pen du
1er Mai 2002. A cette occasion, ses militants arboraient l'autocollant Ras l'Front.
Quelle est la nature de l'agression ?
Une agression antisémite délibérée, déclenchée parce qu'un des militants portait une kippa, dont la signification est strictement religieuse.
Qui sont les agresseurs ?
La bande vidéo rendue publique sur le site de Digi-Presse permet de reconnaître rue St Claude des membres de ces deux types de groupes : jeunes loubards et militants plus âgés. Les militants et militantes du Hachomer ont remarqué parmi leurs agresseurs des gens du même âge qu'eux (une vingtaine d'années) et d'autres, souligne une militante «de l'âge de mon père»
Les réactions
La condamnation des organisateurs de la manifestation a été claire et sans équivoque. Le maire de Paris, Bertrand Delanoé, et celui du IIIème, Pierre Aidenbaum, sont venus assurer le Hachomer de leur indignation et de leur solidarité.
Qu'est-ce qui a rendu l'agression possible ?
Les organisations qui ont appelé à la manifestation n'arrivent pas à assurer collectivement le contrôle politique et militant des cortèges. Il est géré segment par segment. La difficulté augmente avec la disproportion entre le noyau militant d'une structure et les centaines voire milliers de personnes qui se joignent, le jour venu, au cortège.
Les organisateurs ont-ils une politique pour prévenir des dérapages
ou incidents ?
Un dispositif a été mis au point par les organisateurs de la manif suivante,
du 29 mars, durant une réunion au siège du Hachomer Hatzaïr. Avec une efficacité
limitée.
Une structure comme la Coordination des Comités Palestine définit une orientation et arrive globalement à la tenir malgré une expansion fulgurante. En revanche le happening organisé place Denfert Rochereau, en fin de manif par une des camionnettes d'Agir Contre la Guerre, donnait le micro à qui voulait le prendre. On a ainsi entendu successivement des invocation religieuses aux martyrs, au Jihad, et au soutien d'Allah contre les juifs, le tout en arabe, puis le représentant de l'Union Française Juive pour la Paix.
Par ailleurs les auteurs devront rendre compte de leur participation à l'agression devant les tribunaux. Et cette affaire ne sera pas enterrée.
Encart
Une polémique secondaire est due au fait que les incidents ont éclaté non loin du cortège de la Capjpo. (Coordination des appels pour une paix juste au Proche Orient.)
La CAPJPO est elle auteur de l'agression ? La CAPJPO milite pour deux Etats et affirme lutter contre l'antisémitisme. Soupçonner la direction de cette structure d'avoir fomenté une agression antisémite est absurde.
Des gens portant l'autocollant de la CAPJPO y ont-ils
participé ?
L'agression aurait pu se déclencher à la hauteur d'un autre segment du cortège.
La CAPJPO ne dispose pas d'un vrai SO permanent. N'importe qui pouvait manifester
dans son cortège sans pour autant y militer habituellement.
Que dit la CAPJPO de cette agression ?
Les trois communiqués rédigés par la direction
de cette organisation montrent qu'elle n'a rien compris aux faits ni au sens
de ce qui s'est passé.
En effet le premier communiqué est titré «nouvelle agression et provocation
sharonienne». Il évoque un commando d'une vingtaine de personnes armées du
matériel habituel de la LDJ, commando qui n'a jamais existé.
De toute façon une telle attaque du cortège par un commando de la LDJ aurait
justifié une réaction du SO, mais en aucun cas un déchaînement antisémite.
Nulle part ces communiqués ne décrivent l'agression antisémite pour ce qu'elle a été.
En d'autres termes les communiqués semblent excuser, et de ce fait couvrir après coup(s) l'agression qui a été commise.
Samedi 29 mars, le rédacteur du communiqué reconnaissait, oralement, s'être « trompé » dans la relation des faits.
Brèves
Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient,
et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur
de la synagogue, le vieux Moïché.
Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché
pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise,
et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !