Les femmes dans la Résistance
Mila Racine, Marianne Cohn, Haviva Reik, Hannah Senesh

Le Cercle a répondu à la proposition du Conseil Général de l'Isère de participer à la Journée Internationale des Femmes sur le thème :
De l'engagement à la résistance
sous forme d'un stand exposé les 6 et 7 mars 2004 au centre des congrès d'Europôle

Sur ce stand on pouvait voir

  • Un texte de Rita Thalmann sur l'occultation du rôle des femmes dans l'historiographie de la Résistance
  • Un portrait de
    • Mila Racine
    • Marianne Cohn
    • Haviva Reik
    • Hannah Senesh

Rita Thalmann

L'oubli des femmes dans l'historiographie de la Résistance

par Rita THALMANN

Article paru dans CLIO, N°1-1995

Résumé

Bien que le colonel Rol-Tanguy ait déclaré dès la Libération que «sans elles, la moitié de notre travail eût été impossible», qu'elles aient obtenu en 1944 le droit de vote, reconnu depuis longtemps aux femmes d'autres pays démocratiques, les résistantes restent les grandes oubliées de l'historiographie des années 1940 - 1944. Pourtant, par leur origine et leur statut dans la société française de l'époque, leur engagement et les missions qui leur étaient confiées ne comportaient pas moins de risques que ceux de leurs compagnons de lutte. Cette occultation persistante tient essentiellement à deux facteurs : 1) la dévalorisation de leur rôle jugé secondaire, complémentaire par rapport au service armé des hommes. 2) la nationalisation a posteriori de la Résistance, conduisant à passer sous silence l'importante contribution à la libération de la France des étrangers, des étrangères ou des personnes d'origine étrangère.

Qui étaient ces femmes et quelles étaient leurs motivations ?

Sans minimiser le rôle des hommes, force est de constater que la prise de conscience qu'impliquait l'engagement dans le combat contre l'occupant et la collaboration de l'Etat vichyste, était plus difficile pour les femmes, compte tenu de leur statut dans la société française de l'époque, pour trois raisons.

  • D'abord, parce que leur statut juridique, politique et social en faisait des marginales de la vie publique.
  • Ensuite, parce que la majorité d'entre elles ne disposaient pas comme les hommes - sauf celles qui appartenaient à un mouvement de jeunesse - de réseaux susceptibles de les préparer à l'aguerrissement physique que donne la pratique des sports, à fortiori le service militaire.
  • Enfin, parce que l'image traditionnelle de « la » femme, épouse et mère, véhiculée par l'éducation et les médias, les liait davantage à la famille, développant, par voie de conséquence, un plus grand besoin de sécurité et un sens souvent profond de culpabilité chez celles que leur action de résistance obligeait à s'éloigner des leurs pour les protéger de la répression ou privait, comme j'ai pu le constater à travers certains témoignages, d'être ou de devenir mères.

Ces trois facteurs expliquent sans doute pourquoi ce sont essentiellement des jeunes femmes non mariées, souvent même des lycéennes de 16 à 18 ans, qui constituèrent le fer de lance de la Résistance féminine.
Pourquoi, aussi, on trouve une si forte proportion de femmes d'origine étrangère, en particulier d'immigrées d'Europe de l'Est, issues d'un milieu que son itinéraire d'exil avait, par la force des choses, préparé à s'adapter aux dures conditions matérielles et morales du déracinement, à prendre davantage conscience des réalités politiques et à affronter les situations les plus inattendues. [...]
Cette mémoire collective des minorités persécutées explique en particulier la forte proportion de femmes juives, les unes françaises ou naturalisées, issues du scoutisme, de formations politiques ou syndicales, d'autres, apatrides ou étrangères, souvent déjà actives avant-guerre dans des organisations spécifiques de gauche, sionistes ou communistes.
Cette mémoire explique aussi la sensibilité particulière de la minorité protestante dont on connaît notamment l'admirable exemple du Chambon sur Lignon, village de 2 500 habitants cachant et sauvant plusieurs milliers de juifs persécutés. [...]

Rôle des femmes dans la Résistance

Sans pouvoir détailler ici toutes les tâches qui leur étaient confiées, il est possible d'en esquisser une brève typologie.

Celle d'agents de liaison impliquait en cas d'arrestation la déportation, voire l'exécution dans le cas de communistes comme Olga Bancic, guillotinée le jour de son trentième anniversaire à Stuttgart, [...]

Autre tâche, le travail allemand (TA) fut confié à des jeunes femmes germanophones comme Jeannie Rousseau, interprète dans un organisme français travaillant avec les Allemands, membre du réseau Alliance. [...]

L'aspect le plus caractéristique de l'évaluation de la Résistance selon le schéma militaire classique de la lutte armée est l'occultation totale du rôle primordial des femmes dans le sauvetage des enfants juifs, [...] Certaines de ces femmes dont Mila Racine, Nicole Salon-Weil, Suzanne Spaak, Marianne Cohn payèrent cette action de leur vie, mortes en déportation ou exécutées. Marianne Cohn, alias Collin, réfugiée allemande, militante des Eclaireuses israélites de France, arrêtée lors d'un convoi clandestin d'enfants vers la Suisse, est arrachée de la prison d'Annemasse en juillet 1944, à 21 ans, violée et achevée par ses bourreaux à coups de bêche.

Sous-estimation du rôle des femmes dans l'historiographie et la mémoire collective

[...] Il est un autre aspect de l'historiographie de la Résistance qui [...] dépasse la question des femmes et tient à une tradition fort ancienne de nationalisation de la culture par assimilation à la culture dominante. Cette tradition explique l'occultation du rôle des minorités, en particulier étrangères ou d'origine étrangère, surtout lorsque les intéressés n'ont pas eu le réflexe de franciser leur nom ou de garder leur identité de résistant. Et même dans ce cas, comme le souligne Catherine Varlin (Judith Heytin), le succès n'était pas garanti :
«Quant au fait d'être femme, déclare-t-elle, je l'ai provisoirement oublié dès que m'ont été confiées des responsabilités de commandement... Les choses ne sont devenues plus complexes et plus gênantes que plus tard, après la guerre. Lorsque insidieusement d'abord, plus clairement ensuite, on a entrepris de purger la vie politique française de ses résistants, en particulier de ses résistants juifs. Lorsque la condition de femme a commencé à faire problème pour la reconnaissance des services rendus, pour la légitimation des grades, des décorations, etc. Il est vrai qu'être à la fois juive et femme n'a pas facilité l'entrée dans les manuels d'histoire, officiels ou non.»


Mila Racine

Mila Racine (1921 - 1945)

"Organisation juive de combat : résistance/sauvetage, France, 1940 - 1945",
Editions «Autrement», collection Mémoires, n° 85, 2002

Née le 14 septembre 1921 à Moscou, elle oeuvre dans la Résistance du 5 janvier 1942 au 21 octobre 1943 (Toulouse, Gurs, Saint-Gervais, Nice, Annemasse) sous la responsabilité de Tony Gryn.
Mila Racine, jeune de la Wizo repliée à Toulouse puis à Luchon, apporte assistance aux internés des camps, spécialement à Gurs.
En 1942, à la création du MJS, qui rassemble tous les mouvements sionistes qui entre autres travaillent pour le sauvetage des Juifs en danger, Mila Racine devient la responsable du groupe MJS de Saint-Gervais-Le Fayet (Haute-Savoie). Après l'armistice signé par l'Italie avec les Alliés en septembre 1943, les Juifs de la zone alpine se réfugient à Nice. Mila Racine entreprend alors de conduire des convois d'enfants et d'adultes vers Annemasse pour les faire traverser la frontière suisse. Le 21 octobre 1943, alors qu'elle dirige avec Roland Epstein un de ces convois, ils sont interceptés par les Allemands à Saint-Julien en Genevois et conduits à Annemasse à la prison de l'hôtel Pax où sévit la Gestapo. Le maire d'Annemasse, Jean Deffaugt, essaie de venir en aide aux internés; il parvient à en faire libérer quelques-uns, dont un bébé de quatorze mois. [...] Mila Racine, qui a tu son identité juive, est incarcérée à Montluc, puis elle est déportée via Compiègne vers le camp de RavensbrUck, [...] puis transférée vers Mauthausen pour réparer les voies ferrées détruites par les bombardements alliés. Le 30 mars 1945, les Anglais bombardent Mauthausen. Mila Racine [...] est tuée par un éclat d'obus.
Editions «Autrement», collection Mémoires, n° 85, 2002


Marianne Cohn

Marianne Cohn (1922 - 1944)

"Organisation juive de combat : résistance/sauvetage, France, 1940 - 1945",
Editions «Autrement», collection Mémoires, n° 85, 2002

Marianne Cohn est née le 17 septembre 1922 à Mannheim (Allemagne). Elle agit dans la Résistance à Grenoble et Annemasse, sous la responsabilité de Simon Lévitte, Toto Giniewski, Georges Schnek, Emmanuel Racine.
Dès 1942, Marianne Cohn est agent de liaison et participe au service des faux papiers à Grenoble. Le MJS, sous la direction de Toto Giniewski, l'envoie à Annemasse pour succéder à Mila Racine (arrêtée et déportée) et s'occuper du passage des enfants en Suisse.
Le 31 mal 1944, alors qu'elle convoie 28 enfants de quatre à quinze ans, le groupe est arrêté par les Allernands et incarcéré à l'hôtel Pax à Annemasse. Georges Loinger et Emmanuel Racine lui proposent de la faire évader avec l'aide de la Résistance locale.
Marianne Cohn refuse, de crainte que les Allemands ne se vengent sur les enfants qui lui ont été confiés. Par l'intermédiaire de Jean Deffaugt, maire d'Annemasse, Georges Loinger et Emmanuel Racine font savoir au commandant allemand que la Résistance l'exécutera si les enfants quittent la ville. [...] Jean Deffaugt obtient dans un premier temps la libération de 17 enfants, puis plus tard celle des derniers.
A quelques heures de la libération de Ia région, dans la nuit du 3 au 4 juillet 1944, des agents de Ia Gestapo venus de Lyon emmènent Marianne Cohn et deux autres prisonnières. Une dizaine de jours plus tard, on retrouve leurs corps mutilés dans un charnier au Iieu-dit La Rape, près de Ville-la-Grand (Haute-Savoie).
[...] Un collège d'Annemasse, une rue de Ville-la-Grand et une école berlinoise d'enfants handicapés portent le nom de Marianne Cohn. Elle nous a laissé un poème bouleversant, "Je trahirai demain". Elle n'a pas parlé. [...]

Je trahirai demain

Je trahirai demain pas aujourd'hui
Aujourd'hui arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.

Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.

Je trahirai demain, pas aujourd'hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne me faut pas moins d'une nuit

Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir Ia vie,
Pour mourir.

Je trahirai demain, pas aujourd'hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n'est pas pour le barreau,
La lime n'est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.

Aujourd'hui je n'ai rien à dire,

Je trahirai demain.

Novembre 1943


Haviva Reik

Haviva Reik (1914 - 1944)


Haviva Reik naquit dans un village slovaque, et grandit dans les Carpathes. Après l'annexion de la Slovaquie par la Hongrie en 1938, elle s'engagea dans l'organisation sioniste slovaque pour le sauvetage et l'émigration des Juifs slovaques vers la Palestine. Elle émigra elle-même en décembre 1939 et rejoint le kibboutz Maanit.
Quand les nouvelles de l'extermination des Juifs en Europe parvinrent en Palestine, Haviva se porta volontaire pour une mission dans laquelle des combattants juifs seraient parachutés derrière les lignes ennemies dans les territoires occupés par les nazis pour secourir les juifs et les aider à rejoindre la Palestine.
En Italie, empêchée de poursuivre par les Anglais parce que femme, elle partit en septembre 1944 avec un groupe de pilotes américains qui se rendait en Slovaquie, et rejoignit ses trois camarades à Banska-Bystrica. Là, elle se lança à corps perdu dans un travail humanitaire, en faveur des prisonniers de guerre alliés et des enfants Juifs slovaques.
Lors de l'occupation de Banska-Bystrica fin octo-bre 1944 par les Allemands, Haviva se réfugia dans les montagnes avec les autres parachutistes, mais le groupe fut captué quelques jours plus tard par les troupes SS ukrainiennes de la division de Galicie. Elle fut fusillée le 20 novembre 1944, et jetée dans une fosse commune. Ses restes furent transférés au cimetière militaire du Mont Herzl à Jérusalem en 1952.


Hannah Senesh

Hannah Senesh (1921 - 1944)


Juive hongroise, fille d'un auteur dramatique connu, Hannah Senesh montra un talent d'écriture précoce et une remarquable intelligence.
Hannah vécut une vie typique de classe moyenne aisée jusqu'à l'âge de dix-sept ans, à partir duquel elle s'impliqua dans le mouvement sioniste.
Elle émigra en Palestine en 1939, et travailla dans un kibboutz jusqu'en 1943.
Elle rejoignit alors le Palmach et s'engagea dans l'armée britannique.
Elle subit un entrainement dans une unité de parachutistes, et fut en-voyée en Hongrie, où elle fut capturée lors d'une mission de secours aux juifs et de renseignements par radio.
Elle fut retenue prisonnière, puis torturée, et finalement exécutée alors qu'elle avait juste 23 ans.

Poème, mis en musique par David Zehavi

Seigneur,
Seigneur,
que jamais ne disparaissent
le sable et la mer,
le bruissement de l'eau,
le scintillement du ciel,
la prière de l'homme

Haut de page

Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !