Marc Lefèvre : Une tribune courroucée

Proche-Orient Info, 7 septembre 2006 / 11 h 21

Une tribune courroucée de Marc Lefèvre, militant israélien du Camp de la paix
« Je n'ai pas de leçons à recevoir des conseilleurs et des spécialistes à distance »

Par Marc Lefèvre

Marc Lefèvre est porte-parole pour la France du mouvement « La Paix Maintenant »

Après un mois de combats et un mois de trève, les bilans et les leçons commencent à ètre tirés par les belligérants. Des deux côtés les échecs sont clairs, les gains fragiles et les défis patents.

En décidant de kidnapper des soldats israéliens au moment où le Hamas et le Fatah se mettaient d'accord sur la mise en place d'un gouvernement palestinien d'union nationale, le Hezbollah empèchait les Palestiniens de sortir de la crise déclenchée par l'élection du Hamas, par les bombardements incessants du sud d'Israël par des roquettes lancées de Gaza, et par l'enlèvement du soldat Gilad Shalit.

Malgré ce que pensent beaucoup de naïfs, le Hezbollah montre bien qu'il fait peu de cas de la solidarité avec le peuple palestinien et qu'il privilégie dans ses initiatives les intérèts de ses états protecteurs, la Syrie et le l'Iran, qui cherchent à embraser la région à ce moment précis : Il importait à la Syrie de mettre en difficulté la communauté internationale qui l'avait contrainte à mettre fin à son occupation militaire du Liban. Et la priorité iranienne était de retarder les échéances de possibles sanctions internationales, suite à la poursuite de son programme nucléaire militaire.

Du côté israélien, la mauvaise exploitation opérationnelle des informations disponibles sur les capacités de défense du Hezbollah, son organisation et son armement, ainsi que l'insuffisance de ces informations montrent bien qu'Israël ne voulait pas ce conflit à sa frontière Nord, et ne s'y était pas préparé. La conduite hasardeuse, improvisée et irréfléchie de la riposte nécessaire montre aussi que le gouvernement et Tsahal ont navigué en permanence entre la nécessité de riposter à une agression caractérisée, le besoin de protéger les populations civiles du nord du pays qui ont reçu plus de 4.000 missiles en un mois, et la conscience de s'embourber dans un conflit territorial au Liban dont personne ne voulait, ni l'armée ni surtout pas la population.

L'année dernière, le retrait de Gaza qu'on annonçait si difficile s'était opéré sans heurts majeurs, et avait marqué la première défaite politique majeure du camp national religieux des colons israéliens. La défaite politique avait été suivie d'une défaite électorale et de la mise en place d'une nouvelle Knesset où, pour la première fois depuis bien longtemps, les priorités affichées étaient la poursuite d'un retrait des territoires occupés depuis 1967, et la lutte contre les inégalités sociales croissantes. Mème si on pouvait légitimement critiquer les risques d'une démarche de retraits unilatéraux sans négociations d'engagements et de contreparties avec les Palestiniens, on ne pouvait que constater qu'avec le nouveau gouvernement élu, Israël commençait à sortir de l'engrenage occupation répression. Aux risques de guerre, on était en train de substituer, avec l'appui des pays arabes modérés à majorité sunnite, les risques de bâtir un compromis historique avec ceux des Palestiniens résolus à coexister avec l'Etat d'Israël.

C'est dans ces moments historiques si rares depuis 40 ans qu'on peut compter sur les islamistes radicaux pour torpiller tout espoir de sortir de ce cercle vicieux. Ceux qui aujourd'hui dénient aux Juifs qui le souhaitent le droit d'avoir un Etat à eux, tel que reconnu par le droit international depuis 1947, ont une stratégie claire : barrer la route à toute option politique, et maintenir Israël dans le piège de l'occupation et de la seule logique militaire. Aujourd'hui, les extrémistes du Hamas, du Hezbollah, la Syrie et l'Iran qui sont désireux de démontrer leur pouvoir de nuisance, peuvent se réjouir : le piège de la provocation a fonctionné.

La majorité des Israéliens est traumatisée d'avoir vu le tiers de son pays bombardé et paralysé pendant plusieurs semaines. Le sentiment de n'ètre en sécurité nulle part, et d'ètre en but à des agressions et des provocations sans fin prédomine. Si le gouvernement actuel ne résiste pas au mécontentement populaire sur la conduite de cette guerre et ses conséquences, le prochain gouvernement sera élu pour ètre encore plus ferme, et pour privilégier la seule option militaire.

Les politiques israéliens ont abdiqué leurs responsabilités devant les seuls militaires, et ont été incapables de combiner les nécessaires répliques militaires avec des initiatives politiques audacieuses pour isoler les islamistes radicaux au sein du monde arabe, comme une relance d'une négociation sans conditions préalables avec les Palestiniens.

Au lieu de quoi ces islamistes radicaux peuvent capitaliser sur les images de destruction infligées aux populations civiles au Liban, et peuvent faire croître leur influence, en mélangeant coercition, menaces et charité.

Aujourd'hui la communauté internationale s'implique laborieusement et prudemment en envoyant quelques milliers de soldats au sud Liban pour s'interposer entre les belligérants. Ceci n'est qu'un pis-aller. On ne peut s'arrèter au milieu du gué. Soit ces forces se retireront aux premiers risques d'affrontements, soit la communauté internationale s'engagera plus activement dans la recherche d'une solution politique aux conflits régionaux, en isolant et contrecarrant les ambitions bellicistes de la Syrie et de l'Iran.

Les modérés des deux camps israéliens et palestiniens ont été affaiblis et sont incapables, seuls, de forcer la réalité et de faire la démonstration à leurs populations respectives qu'il y a une alternative à la préparation d'un futur conflit, et qu'un compromis territorial et raisonnable est meilleur que la poursuite de la situation actuelle. Le pessimisme, le manque de confiance et le fatalisme prédominent. Si la communauté internationale ne s'implique pas courageusement dans la résolution du conflit israélo-palestinien, le prochain round militaire du conflit sera encore plus violent.

Il faut croire les extrémistes religieux et les dictateurs. Ils ne souhaitent qu'une chose : que ce qu'ils disent se réalise. L'Iran veut la destruction d'Israël, et fera tout pour en créer les conditions. La poursuite de son programme nucléaire n'a pas d'autre but. Ceux qui pensent le contraire sont des naïfs, des irresponsables ou des lâches.

Il est de bon ton dans certains milieux de faire porter à Israël seul la responsabilité de tout ce qui se passe de mauvais au Moyen-Orient. En tant que militant du Camp de la Paix israélien, qui combat depuis presque 40 ans pour que cesse l'occupation des territoires conquis en 1967 et que les droits nationaux du peuple palestinien soient reconnus, je pense ne pas avoir de leçons à recevoir des conseilleurs et des spécialistes à distance. Je sais ce que le Camp de la Paix israélien fait tous les jours avec ses partenaires palestiniens pour convaincre des mérites d'une solution réaliste et pragmatique, face aux extrémistes et aux irréalistes de tout bord. Mais il faut dire aussi que si nous en sommes encore là aujourd'hui, c'est que des composantes importantes et résolues du monde arabe continuent de façon opiniâtre, par l'éducation, par les médias et par le terrorisme, à créer les conditions pour qu'un état juif ne soit jamais accepté dans la région.

Il est dur de devoir riposter à ces manoeuvres et provocations en étant toujours parfait et irréprochable, et sans jamais faire d'erreurs. Il est dur de voir la facilité et la spontanéité avec lesquelles le désir profond de paix des Israéliens et aussi de la majorité des peuples arabes voisins est occulté par une fraction toujours grandissante de la classe médiatique et intellectuelle européenne, et plus particulièrement française. Il est dur de voir avec quel empressement et quelle compréhension ces spécialistes de salons et d'antichambres s'empressent de venir au secours et de justifier ce que font les pires crapules et les pires voyous du monde arabe, tout en dissertant à l'infini sur les seules turpitudes et intentions perverses des seuls juifs israéliens. L'empressement de ces mèmes spécialistes à ne montrer de la réalité israélienne que ce qu'elle a de critiquable, est le signe que la présence mème de cet état leur est difficilement supportable. Est-ce aussi un signe de leur désir de voir cet état gènant rayé de la carte ?

Il serait temps de faire tomber les masques. En Occident, on joue avec des idées et des concepts pendant que, sur place au Moyen-Orient, c'est une question de vie ou de mort. Le jour où le monde occidental prendra réellement conscience que la Paix et la Démocratie dont il bénéficie encore, ne dureront peut-ètre pas éternellement, et que ce sont des valeurs suffisamment chères pour mériter d'ètre défendues au prix de lourds sacrifices, alors leur vision d'Israël changera peut-ètre, mais ce sera un peu tard pour tout le monde. Je reviens d'une semaine au Moyen-Orient et je ne peux que constater une fois de plus la volonté farouche avec laquelle toutes et tous essayent le plus vite possible de revenir à une vie normale, en essayant d'oublier les angoisses et les peurs, en essayant désespérément de croire que le pire pourrait encore ètre évité.

Combien de morts des deux côtés faudra t-il encore pour que les peuples de la région ne soient plus les otages de leurs fous de Dieu ? Peut-ètre ceux-ci seraient-ils moins virulents s'ils ne sentaient pas qu'ils pouvaient compter sur autant d'oreilles compatissantes et indulgentes en Occident ?

Les peuples du Moyen-Orient qui en ont assez des guerres, qui veulent un avenir pour leurs enfants, qui n'ont pas envie d'en faire des martyrs, ont besoin que ceux qui s'érigent en donneurs de leçons et en faiseurs d'opinions, prennent la responsabilité de ne plus encourager les fauteurs de guerre, et acceptent plutôt d'aller écouter et respecter les Bâtisseurs de Paix des deux camps.

haut de page

Brèves

Notre tradition

Il y a longtemps, dans une synagogue d'Odessa avait lieu un service religieux.
La moitié des présents s'est mise debout, et l'autre moitié est restée assise.
Les assis ont commencé à réclamer que les autres se rassoient, et ceux qui étaient debout ont réclamé que les autres suivent leur exemple...
Le rabbin, qui ne savait pas quoi faire, décida de s'adresser au fondateur de la synagogue, le vieux Moïché. Il invita un représentant de chaque fraction, et ils allèrent tous chez Moïché pour lui demander conseil.
Le représentant des "debout" demanda :
- Être debout pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le représentant des "assis", tout content, demanda :
- Alors, se tenir assis pendant le service – est-ce notre tradition ?
Moïché répondit :
- Non, ce n'est pas notre tradition.
Le rabbin, perplexe, dit :
- Mais... pendant le service, une moitié se met debout et l'autre reste assise, et les querelles s'ensuivent...
- Voilà! - dit le vieux Moïché. - Ça, c'est notre tradition !